Avec détermination, je me levai et me dirigeai vers le chat, tendant le dessin devant moi. Kumo tenta de me retenir, mais je le rassurai d’un regard. Le chat continuait de marmonner, ses yeux sombres reflétant une immense tristesse. Lorsqu’il aperçut le dessin, il se figea.
Ses yeux se posèrent sur la feuille, et il scruta chaque détail avec une intensité déchirante. Ses murmures cessèrent brusquement, remplacés par un silence lourd de sens. Puis, soudain, ses yeux s’illuminèrent, et des larmes chaudes commencèrent à couler le long de ses joues.
“ C’est bien elle… je m’en souviens maintenant… ” murmura-t-il d’une voix tremblante. “ Ses yeux… ses doux yeux… son pelage… Tout est là… C’est bien elle… ”
Le chat pleura, mais ces larmes étaient différentes. Elles n’étaient plus chargées de tristesse, mais de soulagement, de bonheur retrouvé.
“ Je commençais à oublier à quoi elle ressemblait avec le temps… Seule sa description me restait en tête. ” dit-il en serrant le dessin contre son cœur, comme un trésor précieux.
Autour de nous, le décor sombre et morose du manoir commença à changer. Les murs, autrefois recouverts de poussière et de toiles d’araignées, se nettoyèrent peu à peu, révélant des motifs délicats et des couleurs vives, comme si la tristesse qui les avait ternies s’effaçait sous l’effet de la lumière.
La lumière pénétra à nouveau par les fenêtres, illuminant la pièce d'une douce clarté. Le manoir semblait revivre, comme si le souvenir de cette chatte avait ramené un peu de vie dans cet endroit abandonné.
“ Je ne te remercierai jamais assez, jeune fille. Grâce à toi, j’ai pu revoir le visage de ma défunte épouse, que j’avais commencé à oublier, rongé par la tristesse. ” dit-il, la voix encore tremblante d’émotion et pleine de gratitude.
“ Ce n’est pas grand-chose, monsieur… ” répondis-je timidement, mais une fierté intérieure grandissait en moi, heureuse d’avoir pu faire quelque chose de significatif.
“ Ma femme est décédée il y a cent ans… Et depuis, rien n’a pu combler le vide qu’elle a laissé. Il ne me restait plus rien d’elle, aucun portrait, aucun souvenir tangible. J’ai tant regretté de ne pas avoir capturé son image avant qu’il ne soit trop tard… ” expliqua-t-il, ses larmes coulant silencieusement sur ses joues.
Je restais muette, touchée par la profondeur de son chagrin. Cent ans… Ils pouvaient vivre si longtemps ici ?
“ Grâce à toi, je peux enfin patienter sereinement en attendant de la retrouver. ” dit-il, un sourire triste mais apaisé sur le visage.
“ Je suis contente d’avoir pu vous aider dans ce cas, monsieur. ” répondis-je, sincère.
Le chat fouilla dans une vieille boîte en bois et en sortit un objet.
“ Si tu me le permets, j’aimerais garder ce dessin. En échange, pour te remercier, j’aimerais t’offrir cette pomme de pin. ”
“ Une… pomme de pin ? ” répétai-je, intriguée.
“ C’est une pomme de pin magique. Il suffit d’enlever toutes ses écorces pour pouvoir exaucer un vœu. ” expliqua-t-il en me tendant l’objet avec un sourire.
“ Un vœu ? Mais pourquoi ne pas l’avoir utilisé pour retrouver votre femme ? ” demandai-je, perplexe.
Le chat secoua la tête avec un sourire triste.
“ Un tel souhait n’est pas possible. Ramener un être aimé de la mort ou forcer le destin va au-delà de ce que la magie peut accomplir… Et je ne voulais pas non plus que son souvenir soit altéré par un artifice magique. Je voulais me souvenir d’elle telle qu’elle était, par le cœur, non par la magie. Mais il faut dire que le temps est impitoyable. ”
“ Je comprends… ”
Je compris alors que certaines choses ne pouvaient être changées, même avec la magie la plus puissante.
“ Merci beaucoup. ” dis-je en prenant délicatement la pomme de pin.
“ Merci encore, jeune fille. Tu as un don inné, un talent rare. ” dit-il avec une sincérité désarmante.
Je rougis, touchée par son compliment.
“ Tout le plaisir était pour moi ! ” murmurai-je, les joues en feu.
“ Ce n’est pas tout, mais on va devoir y aller, nya. On doit rentrer. ” intervint Kumo, avec une insistance que je ne pouvais plus ignorer.
“ Ah oui, c’est vrai Kumo ! ” répondis-je, me rappelant soudainement de la réalité qui nous attendait à l’extérieur.
“ Dans ce cas, rentrez bien et faites attention. Je suis heureux de t’avoir rencontrée… ? ”
“ Yui, monsieur ! ”
“ Yui… Je suis Mistral. ”
“ Ravie de vous avoir rencontrée aussi, monsieur Mistral ! ”
Le chat sourit, puis recula dans l’ombre, sa silhouette s’effaçant peu à peu jusqu’à disparaître complètement.
Kumo, qui était resté silencieux jusqu’alors, s’approcha de moi.
“ Nya, tu es vraiment incroyable, Yui. ”
Je souris faiblement.
“ C’était une expérience étrange, mais je suis heureuse d’avoir pu faire quelque chose de bien. ”
Après les dernières salutations, Kumo et moi nous dirigeâmes vers la sortie.
Le manoir, quant à lui, continuait de retrouver son éclat d’antan, lumineux et vibrant de vie. Les murs autrefois sombres et oppressants étaient maintenant baignés de lumière, et des fleurs s’étaient mises à éclore dans les coins, apportant des touches de couleur et de vie dans ce lieu qui avait si longtemps été plongé dans la tristesse. Même l’air semblait plus léger, plus pur.
Nous redescendîmes les escaliers, traversant le manoir qui paraissait maintenant beaucoup moins effrayant. Les portes de la citadelle s’ouvrirent sur notre passage, nous laissant partir comme si elles nous remerciaient aussi.
Dehors, le soleil brillait haut dans le ciel, réchauffant notre peau après l’obscurité du manoir. Les papillons volaient autour de nous, colorant l’air de leurs ailes chatoyantes.
Nous quittâmes le château, laissant derrière nous un endroit qui, grâce à un simple dessin, avait retrouvé un peu de sa splendeur passée.
“Je crois que j’aime beaucoup ce monde, Kumo… ”
Un sentiment étrange grandissait en moi. Une chose est sûre, je ne voulais en aucun cas quitter ce monde. Je commence à bien m’y plaire ici. J’ai le sentiment d’être à ma place étrangement.
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