Le papillon qui nous avait guidés vers le château réapparut soudain dans la pénombre de la grotte, ses ailes bleutées iridescentes flottant doucement, comme s’il avait toujours su où nous trouver.
“ Oh tiens, je t’avais complètement zappé, nya ! ” s'exclama Kumo en bondissant légèrement.
“ C’est vrai que je l’avais oublié… ” répondis-je, un peu honteuse de l'avoir négligé.
Le papillon se posa quelques instants avant de s'envoler à nouveau, nous indiquant silencieusement la sortie. Je ne pouvais m'empêcher de me demander comment il pouvait connaître aussi bien ces lieux. Peut-être était-il bien plus qu’un simple papillon.
Lorsque nous atteignîmes la sortie de la grotte, une immense forêt nous attendait à l'extérieur. Les arbres, gigantesques et noueux, déployaient leurs branches comme des bras sinistres, couvrant le ciel d’un voile impénétrable de feuillage. L'air était lourd, et la lumière de la lune, à peine visible à travers les interstices des feuilles, semblait presque irréelle, donnant à l’endroit une allure fantomatique. Il était évident que la nuit était tombée, plongeant le monde dans une obscurité oppressante.
“ Nya… Qu’est-ce qu’on va faire maintenant… ” murmura Kumo d'une voix fatiguée.
“ Je suis désolée, Kumo... Je n’aurais jamais dû t’entraîner dans tout ça… ” répondis-je, le cœur serré par la culpabilité.
“ Même si je me plains, je ne regrette rien, nya! Je n’avais jamais vécu autant d’aventures ni ressenti autant d'émotions. Avant ça, je passais mes journées à jouer seul… ” Son ton était à la fois mélancolique et plein de sincérité.
“ Mais quand même... on aurait pu faire des activités moins dangereuses et s’amuser tout autant… ”
Notre conversation fut interrompue de manière glaciale par une voix grave, autoritaire, résonnant dans le silence de la forêt.
“ Ne bougez plus. ”
Sans même me retourner, je reconnus immédiatement cette voix, à la fois profonde et chargée d’une étrange force. Elle dégageait une froideur qui me fit frissonner. Alors que je tentais de fuir par instinct, une poigne ferme attrapa ma capuche, m’immobilisant instantanément.
“ Si j’étais vous, je n’irais pas m’aventurer seule dans cette forêt. Elle regorge de créatures que vous ne voulez pas croiser. ”
“ Nyaa... des monstres !? ” siffla Kumo, ses poils se hérissant de peur.
“ Vous resterez avec moi désormais, et vous ferez ce que je dis sans discuter. ”
Je sentis une vague de désespoir m'envahir. Tout ce chemin, toutes ces épreuves… Était-ce vraiment en vain? Allait-il vraiment me ramener dans mon monde, m'arrachant à cette réalité où je me sentais enfin libre ?
Alors que je plongeais dans un gouffre de dégoût et d’inquiétude, un rugissement sourd fit trembler le sol sous nos pieds. Il était bien plus fort, bien plus menaçant que celui que nous avions entendu précédemment. Le danger semblait s’approcher, et même si je doutais encore des avertissements du Gardien, il était hors de question de prendre des risques. Croiser l’une de ces créatures n’était pas dans mes plans.
Je trouverai un autre moyen de m’échapper... Mais pour l’instant, je dois jouer le jeu.
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La nuit s’était installée entièrement, plongeant la forêt dans une obscurité inquiétante. Le seul bruit était celui de nos pas sur les feuilles mortes. Après de longues heures de marche, Kumo commença à montrer des signes évidents d’épuisement.
“ Nyaa… Je n’en peux vraiment plus… mes patounes sont toutes raplapla… ” gémissait-il, traînant derrière moi.
Sentant une opportunité, je décidai de simuler la fatigue également, espérant gagner un peu de temps pour réfléchir à un plan.
“ Moi aussi... Je suis épuisée. Ça fait des heures qu'on marche… ” dis-je en feignant une lassitude extrême.
“ Il ne reste plus beaucoup de chemin. Patientez encore un peu. ” répondit le Gardien d'une voix impassible.
Je ne pus m’empêcher de le fixer. Était-il vraiment fait de chair et de sang, ou son cœur était-il de pierre? Était-il capable de comprendre autre chose que son devoir? Comment pouvait-il nous pousser à bout sans même un soupçon de compassion?
“ Nyaaa pourquoiii ?! Je vais mourir à ce rythme ! Et on n’a rien mangé de toute la journée! ” se plaignit Kumo, ses oreilles aplaties de désespoir.
“ On va mourir avant même d’arriver à destination… ” ajoutai-je, jouant mon rôle à la perfection.
Le Gardien s'arrêta brusquement, visiblement agacé par nos plaintes. Il sembla hésiter un instant, pesant le pour et le contre. Je me sentais presque coupable de manipuler ainsi la situation, mais c’était nécessaire.
“ Très bien. Nous camperons ici pour la nuit. Nous reprendrons la route demain. ”
“ Yeah! ” avons-nous crié à l'unisson, ravis de cette victoire.
Nous nous mîmes à ramasser des branches autour de nous pour allumer un feu. Rapidement, une petite flamme dansait au centre de notre campement, projetant des ombres inquiétantes sur les troncs d’arbres tordus qui nous entouraient.
Kumo s’effondra près du feu, endormi presque instantanément. Ses petites pattes tremblaient encore légèrement de fatigue, mais son souffle paisible me rassura.
“ Tes jambes. ” dit soudain le Gardien, brisant le silence.
“ Mes... jambes ? ”
Je baissai les yeux, réalisant que des écorchures marquaient ma peau, probablement dues à la chute précédente.
“ Ah… Je ne l’avais même pas remarqué avec tout ce qui s’est passé. ”
Le Gardien s’approcha de moi, s’agenouillant silencieusement à mes côtés. Avant que je ne puisse protester, il attrapa ma jambe avec une délicatesse surprenante.
“ Laisse-moi faire. ”
“ Eh ! Q-qu’est-ce que tu fais ?! ” m’exclamai-je, mes joues s’empourprant subitement sous la chaleur soudaine de son contact.
“Je vais te soigner. Ne bouge pas. ”
Il ouvrit doucement la bouche, et à ma grande surprise, une flamme douce et rougeoyante en sortit. Elle se mit à danser autour de mes blessures sans les toucher, caressant ma peau comme une brise tiède. Ce n’était pas du feu ordinaire
“ D-du feu...? ” balbutiai-je, effrayée et fascinée à la fois.
“ Reste tranquille, ça ne fera pas mal. ”
J’obéis, mes pensées tourbillonnant. Contre toute attente, la flamme ne brûlait pas. Elle était apaisante, presque réconfortante. Les flammes léchèrent ma peau sans la marquer, et je sentis un soulagement immédiat, comme si les coupures disparaissaient sous l’effet de la chaleur. C’était presque apaisant, comme un baume sur mes émotions aussi bien que sur mon corps.
Mon cœur battait plus vite, non pas à cause de la peur, mais d'une étrange sensation de calme et de confiance que je n'aurais jamais imaginé ressentir en sa présence. Comment un être aussi froid pouvait-il être si attentionné?
Je me surpris à l’observer plus attentivement, remarquant pour la première fois ses traits avec plus de soin. Son visage était à la fois sévère et gracieux, presque comme une sculpture parfaite. Ses cheveux noirs et rouges tombaient en mèches rebelles autour de son visage marqué par la sagesse et le temps. Ses yeux, perçants et brillants, avaient cette profondeur que je n’avais pas remarquée jusqu’à présent. Une beauté glaciale et mystérieuse.
“ C’est bon. ” dit-il enfin, relâchant doucement ma jambe. “ Fais attention la prochaine fois. ”
Je restai sans voix un instant. Qui aurait cru que derrière son attitude froide, il pouvait être si attentif et délicat ? Peut-être… peut-être que je pourrais essayer de lui parler, de lui expliquer mon désir de rester ici.
“ Dis… Seiryu c’est ça ? Est-il vraiment impossible pour moi de rester dans ce monde ? ” demandai-je, hésitante.
Son visage redevint aussitôt impassible.
“ Ce n'est pas négociable. ”
Je sentis ma frustration monter.
“ Mais pourquoi ? En quoi cela vous affecte-t-il, ou même ce monde ? ” insistai-je, ma voix devenant plus forte.
“ Ce n’est pas ce monde qui est en jeu. C’est toi que cela affectera. ” répondit-il froidement.
“ Mais je ne veux pas retourner dans mon monde ! Pour une fois, j’ai l’impression de vivre, d’être vraiment moi-même ici ! ”
Il me fixa longuement, comme s’il pesait mes paroles.
“ Sauf que tu vas mourir. ” dit-il enfin.
Mourir ? Ce mot, prononcé avec une telle certitude, n’eut pas l’effet escompté sur moi. Au lieu de la peur, c’était une étrange tranquillité qui m’envahit. Mourir… Était-ce si grave ? Après tout, avais-je vraiment vécu jusqu'à maintenant ?
Après la mort de grand-mère, ma vie n’avait plus aucun sens. Je n’étais qu’une marionnette, tiraillée entre les attentes de mes parents et le vide de mon propre cœur.
“ Ça n'a pas d'importance. ” répondis-je, impassible.
“ Tu ne peux pas prendre une telle décision seule. Il y a sûrement des gens qui s’inquiètent pour toi. ” dit-il, la voix toujours aussi ferme.
Je laissai échapper un rire amer.
“ Des gens qui s'inquiètent ? Ha ! Comme si… ”
Il resta silencieux un moment, puis déclara d’un ton résolu :
“ Peu importe. Mon devoir est de te ramener dans ton monde, et c’est ce que je ferai. ”
Je me sentis vaincue, comme si toutes mes paroles, toutes mes tentatives d’évasion, n'avaient été que du vent. Il était inébranlable, un mur de pierre contre lequel je ne pouvais rien.
Découragée et vexée, je me tournai pour lui tourner le dos, m’enroulant sous ma couverture improvisée, le cœur lourd.
Après un long moment de silence, pesant et inconfortable, sa voix s'éleva dans la nuit.
“ Je suis né de l’union d’une humaine et d’un dragon, il y a des siècles. ” commença-t-il doucement. “ D'où mon apparence… particulière. J’ai toujours rêvé de quitter ce monde pour découvrir celui où ma mère avait vécu. ”
Intriguée par ses mots, je me retournai pour lui faire face, toujours allongée sur le sol.
“ Pourquoi n’es-tu jamais parti ? ” demandai-je.
“ Parce que j’ai été nommé Gardien de ce monde. ” répondit-il, le regard lointain. “ Ma mission est de veiller sur sa prospérité et de protéger les âmes perdues qui y errent. Celles comme toi. ”
Je fronçai les sourcils.
“ Attends… tu veux dire que je suis une âme perdue aussi ? Mais alors, mon corps est peut-être encore dans l'autre monde ? ”
Il hocha la tête. “ Exactement. Mais à la différence des âmes égarées que tu as croisées dans la grotte, ton corps est toujours vivant. ”
Quelqu’un m’aurait donc trouvée… et sauvée ?
“ Ça signifie que quelqu’un a retrouvé mon corps à temps… ” soufflai-je, perdue dans mes pensées.
“ Tu as eu de la chance. ” murmura-t-il, ses yeux plongeant dans les miens.
Je restai silencieuse, réfléchissant à cette nouvelle réalité. Était-ce vraiment de la chance, au regard de ce que je ressentais pour ma vie actuelle ? Ma "chance" semblait un fardeau plus qu'autre chose.
“ Mais plus tu restes ici, plus ton âme s’éloigne de ton corps. Et si elle s'en détache complètement… tu mourras. ” expliqua-t-il calmement, mais avec une gravité qui me glaça.
Je l’écoutais, mais quelque chose en moi ne voulait pas l’accepter.
“ Peut-être… peut-être que la mort est la seule façon pour moi de trouver enfin ma liberté. ” murmurai-je.
Il me regarda, une étincelle de tristesse dans les yeux.
“ C’est facile à dire, mais plus difficile à accepter. Moi, même si je le désirais, il m’est impossible de quitter ce monde. Nos désirs sont opposés, et je ne pourrais jamais te comprendre totalement. Mais je pense que si ta vie ne te plaît pas… tu peux la façonner à ton image. Crée ton propre monde. ”
“ Créer… mon propre monde.” répétai-je, comme pour essayer d’assimiler ses mots.
Ses paroles me donnèrent un étrange réconfort, presque une étincelle d’espoir. Peut-être qu’il avait raison. Peut-être qu'il y avait encore une chance pour moi de changer ma vie, même si cela semblait impossible.
“ Il se fait tard. ” dit-il en se levant doucement. “ Repose-toi. Nous avons encore de la route demain. ”
Il se pencha pour retirer son manteau et le déposa sur moi, comme une couverture.
“ La nuit sera froide, même avec le feu. ”
“ Et toi ? ” demandai-je, gênée par son geste attentionné.
“Je suis mi-dragon. ” répondit-il simplement. “ Mon corps est naturellement chaud. Dors maintenant. ”
Je fermai les yeux, sentant mes joues rougir légèrement. Son manteau sentait bon, une odeur rassurante et familière que je ne m’attendais pas à apprécier autant.
Non, Yui, ne commence pas à penser des trucs bizarres, on dirait une perverse ! Je dois me ressaisir!
Alors que je sentais la fatigue m'envahir, un sentiment étrange naissait en moi. Seiryu n'était pas qu'une simple créature froide et insensible. Derrière son masque se cachait peut-être un être plus complexe que je ne l'avais cru au départ.
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