Quelques instants plus tôt, sur Terre :
L'hôpital était plongé dans une atmosphère lourde et anxieuse. Les murs blancs, ternis par des années d’usage, semblaient étouffer les murmures des infirmiers et des médecins qui passaient en hâte. L’éclairage artificiel des néons créait des ombres inquiétantes dans les couloirs interminables. Les bruits des machines et les bips incessants des appareils de surveillance ajoutaient à l’ambiance oppressante.
Dans la chambre d’hôpital blanche et impersonnelle, le silence n’était brisé que par le bip régulier des machines. L'odeur aseptisée imprégnait l'air, mélangeant désinfectants et médicaments. Une lumière froide tombait du plafond, projetant des ombres longues et inquiétantes sur les murs. Yui reposait là, immobile, ses cheveux épars sur l'oreiller blanc, son visage paisible, comme plongé dans un profond sommeil.
“ Yui ! Yui, réveille-toi !! Maman est désolée, Yui, s’il te plaît ! ”
Sa mère, le visage ravagé par l'inquiétude, serrait la main de sa fille avec désespoir. À ses côtés, son père faisait les cent pas, les mains tremblantes, son regard incapable de quitter le corps inanimé de sa fille.
“ Docteur, faites quelque chose ! Peu importe ce qu’il faut, je vous paierai le double, mais réveillez ma fille, je vous en prie ! ” implora la mère d'une voix brisée.
Le médecin, l’air solennel, leur répondit calmement, ses sourcils froncés par la gravité de la situation.
“ Madame, Monsieur, je comprends votre détresse, mais je vous demande de garder votre calme. Vos cris dérangent les autres patients. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir. ”
“ Comment pouvons-nous rester calmes quand notre fille est dans cet état entre la vie et la mort ?! ” s'emporta le père, sa voix tremblante d'émotion.
Le médecin prit une profonde inspiration, essayant de trouver les mots justes.
“ Nous avons fait tous les examens nécessaires. Physiquement, son corps ne présente aucun problème critique. Sa santé n’est pas en danger immédiat. Pourtant… ” Il hésita un instant, cherchant à formuler l’inexplicable. “ … bien que son corps réagisse normalement, elle ne se réveille pas. Nous sommes confrontés à un cas complexe où l'esprit semble... désengagé. Ce n'est pas un problème que nous comprenons entièrement. ”
“ Alors, pourquoi… pourquoi ne se réveille-t-elle pas, docteur ? ” murmura la mère, des larmes coulant le long de ses joues.
“ C’est difficile à dire. Parfois, le corps guérit, mais l’esprit prend plus de temps à suivre. Tout ce que nous pouvons faire pour l’instant, c’est espérer. Parlez-lui, soyez à ses côtés. Parfois, les mots peuvent traverser les barrières. "
"Je refuse de la perdre. Je refuse," murmura le père, sa voix tremblante sous le poids d'une douleur qu'il ne savait plus contenir..
.
.
De retour dans le monde Nyanko :
Je m’enfonçais dans la forêt, guidée par le papillon bleu, mes pas devenant de plus en plus rapides à mesure que je m'éloignais. Les arbres semblaient se resserrer autour de moi, leurs branches tordues formant des ombres sinistres sous la lumière de la lune. Chaque bruit de feuille froissée ou de branche craquante me faisait sursauter, comme si la forêt elle-même tentait de me retenir. Mon cœur battait à tout rompre, mais je devais continuer, fuir avant que le Gardien ne se réveille.
Soudain, je sentis une présence derrière moi. Un frisson de peur me parcourut. Était-ce l’un des monstres dont Seiryu avait parlé ? Mon esprit s'emballait déjà avec des scénarios terrifiants.
Avant que je ne puisse réagir, une silhouette familière émergea des ombres.
“ Kumo ?! ” murmurai-je, mon souffle encore court. “ Mais qu’est-ce que tu fais là ? ”
Il s'approcha, les oreilles légèrement baissées mais les yeux pétillants.
“ Tu ne comptais tout de même pas partir sans moi, nya ? ” dit-il en inclinant la tête.
“ Je ne peux pas te laisser venir avec moi, Kumo. Ta mère doit être inquiète à l’heure qu’il est. Tu devrais retourner auprès d’elle. ”
“ Et toi alors ? ” répondit-il d'une voix empreinte de tristesse.
“Moi ? Ça ira. Ne t’en fais pas pour moi. Retourne dormir, je vais m'en sortir. ”
Kumo resta silencieux un moment, puis sa voix douce brisa l'air.
“ Yui… je pensais m’être trompé à ton sujet. Mais quand je repense à tout ce que tu fais et dis… je vois bien que quelque chose ne va pas. Ne me mens pas, s’il te plaît. Je veux être quelqu’un sur qui tu peux compter. ”
Je réalisai qu’il était inutile d’insister. Kumo avait raison. Et rester là à discuter risquait de nous faire repérer si le Gardien se réveillait. Avec un soupir résigné, j’acquiesçai.
“ Haa… d’accord, viens avec moi. Mais on ne peut pas rester ici. Je t’expliquerai tout une fois que nous serons en sécurité. ”
Sans un mot de plus, nous avons repris notre route. Une fois assez éloignés du campement, nous nous sommes mis à courir, toujours guidés par le papillon bleu qui brillait faiblement dans l'obscurité.
La sortie de la forêt nous accueillit avec une clarté inattendue. La lumière de la lune perça les branches denses, créant une atmosphère presque apaisante. Nous échappions enfin à cette forêt sans fin, et la joie se reflétait sur nos visages fatigués.
“ Nous devons nous éloigner rapidement et trouver un abri. ” dis-je en balayant les environs du regard.
La forêt laissa place à un sentier étroit bordé de hautes herbes argentées par la lumière lunaire. Le vent soufflait doucement, agitant les brins dans une danse silencieuse. Le silence de la nuit était presque irréel après l'oppression de la forêt.
Après avoir marché un moment, Kumo soupira.
“ Je dois avouer que… cette fois-ci, je suis vraiment fatigué, nya. ”
Je le regardai en souriant.
“ Alors, tout à l'heure, tu faisais semblant…? ”
Un fou rire nous prit tous les deux en même temps. Nous avions tous deux trompé le Gardien, simulant la fatigue pour mieux l’endormir et lui échapper. C'était un miracle que cela ait fonctionné.
Alors que nos rires se calmaient, un son attira notre attention. Un chariot cliquetant s’approchait sur le sentier derrière nous. Espérant un coup de chance, nous décidâmes de faire du stop.
Le chariot s'arrêta, et à bord se trouvait un chat marchand, bedonnant et vêtu d’une cape usée. Son pelage gris moucheté de taches blanches lui donnait un air sage et un peu fatigué.
“ Eh bien, que font deux gamins tout seuls au beau milieu de la nuit ? ” demanda-t-il d’une voix rocailleuse. “ J’en connais qui risquent de s’attirer des ennuis. ”
Kumo et moi nous regardâmes en silence, songeant à quel point il avait raison.
“ Monsieur… pourriez-vous nous emmener avec vous, s'il vous plaît ? ” demandai-je avec espoir.
“ Oui, nya ! Nous serions tellement reconnaissants ! ” ajouta Kumo avec enthousiasme.
Le vieux chat haussa un sourcil avant de sourire.
“ Je ne vais pas laisser deux petits seuls dans le noir. Allez, montez derrière. ”
Nous le remerciâmes chaleureusement avant de grimper à l’arrière du chariot. L’intérieur était encombré de caisses remplies de produits divers : des étoffes colorées, des manteaux en laine épaisse, et des foulards délicatement pliés étaient entassés dans de grandes caisses en bois. Il y avait aussi des robes aux motifs floraux et des capes plus simples, probablement destinées aux voyageurs. Tout semblait soigneusement empilé, donnant l’impression que le marchand devait parcourir de nombreuses villes pour écouler sa marchandise.
Assis au fond, le silence s’installa, jusqu’à ce que je décide de le briser.
“ Kumo… Quand as-tu compris que quelque chose n’allait pas chez moi ? ”
“ Le champ de pissenlits.” répondit-il simplement.
“ Le champ de pissenlits…? Je ne crois pas avoir fait quoi que ce soit de particulier qui aurait pu laisser place à des doutes. ”
“ Non, tu n'as rien montré. Mais les akènes que tu as fait voler… elles ne réagissent qu'à ceux qui portent une grande douleur en eux. Elles répondent à cette souffrance en offrant quelque chose, comme pour alléger un cœur trop lourd. ”
Je me tus, légèrement troublée.
“ J’étais vraiment démasquée, alors… ”
“ Je pensais m’être trompé au départ. Mais en y repensant, et en observant les détails, j’ai compris qu’il y avait quelque chose. Mais je ne pouvais pas deviner sans que tu me dises la vérité. ”
Je pris une profonde inspiration, m’interrogeant sur les mots qui me permettraient de décrire ce qui pesait sur mon cœur.
“ Kumo… t'est-il déjà arrivé de te regarder dans un miroir et de ne rien y voir ? De croiser ton propre reflet, mais de te sentir étranger à celui ou celle que tu regardes ? Comme si tu étais une ombre parmi les vivants, un nom sans histoire. ”
Kumo resta silencieux, les oreilles tournées vers moi, captant chaque mot avec attention.
“ Après la mort de ma grand-mère, j’ai perdu ce qui donnait un sens à mon monde. Mon existence s’est peu à peu effritée, chaque moment dicté par des attentes, des obligations. J’ai cessé de me demander ce que je voulais réellement, parce qu’il fallait toujours penser à ce que je devais faire. Tout était comme figé, verrouillé, et plus j’avançais, plus je me sentais disparaître. ”
Je sentis la lueur de compassion dans ses yeux.
“ Et personne ne t’a tendu la patte… enfin, la main ? ” demanda-t-il doucement.
“ Quelques personnes ont essayé, mais même leur soutien n'a pas suffi à m’arracher à cette sensation de vide. Alors, je me suis retrouvée seule, face à moi-même, et… j’ai erré, comme un souffle sans but, jusqu’au lac. Et là, je suis tombée… c’était comme une délivrance. Comme si le lac m’avait offert une chance de renaître, loin des chaînes que je portais. ”
Kumo détourna le regard, visiblement ému.
“ Je suis désolé, Yui. Personne ne devrait se sentir comme ça. ”
Un sourire triste s’étira sur mes lèvres.
“ Ce n’est pas ta faute, Kumo. Et d’une certaine manière, me retrouver ici m’a permis de recoller des morceaux de moi que j’avais éparpillés. Peut-être que, dans ce monde, je peux enfin comprendre qui je suis. ”
“ Mais le Gardien a dit que tu pouvais mourir si tu restais ici…”
Je secouai la tête, tentant de le rassurer.
“ Ne t’inquiète pas, il disait ça pour m'effrayer. Tout ira bien, Kumo. ”
“ Si tu le dis, nya… ”
Avant que le silence ne s'installe complètement, Kumo se tortilla légèrement, plongeant une patte dans sa fourrure épaisse. Après quelques secondes d’effort, il en ressortit un petit bracelet tressé, fait de fil argenté et orné de perles scintillantes.
“ Yui… avant que tu ne t'endormes, j'ai quelque chose pour toi, nya.” dit-il, sa voix étrangement sérieuse.
Je tournai la tête vers lui, intriguée.
“ Qu'est-ce que c'est, Kumo ? ”
Il me tendit le bracelet avec une douceur inattendue, ses yeux brillants d’une émotion qu’il cachait mal.
“ C'est un bracelet que j'ai trouvé dans une ancienne boutique magique. Il est censé veiller sur celui ou celle qui le porte, le protéger des mauvais rêves et des esprits malveillants, nya. Je veux que tu le prennes. Comme ça, je saurais que tu es en sécurité, même quand je ne peux pas toujours être là pour te protéger. ”
Touchée par son geste, je pris le bracelet délicatement entre mes doigts et l'enfilai autour de mon poignet.
“ Merci, Kumo… je me sens déjà plus en sécurité grâce à toi. ”
Il détourna le regard, légèrement gêné, mais son ronronnement trahissait sa satisfaction.
“ Nya, c'est rien, vraiment. Maintenant, dors bien, Yui. Je veillerai sur toi. ”
Je souris tendrement, serrant le bracelet contre moi.
Le silence retomba, et la fatigue nous rattrapa. Peu à peu, mes paupières se firent lourdes, et je finis par m’endormir au rythme du chariot qui nous emmenait vers l’inconnu.
“ Eh bien, de vraies pipelettes, ces deux-là ! ” grogna le marchand avec un sourire en coin, ses yeux pétillant de malice.
Comments (0)
See all