Nous avons décidé d’atterrir près du chaton en pleurs. Il était là, recroquevillé, ses petites pattes tremblantes, submergé par une terreur silencieuse. Ses sanglots résonnaient dans l’air lourd.
“ Hey, mon petit, ça va ? Tu t’es perdu ? ” lui ai-je demandé doucement, m'agenouillant à son niveau.
Le petit leva des yeux brillants de larmes vers moi, hoquetant entre ses pleurs :
“ Noir… D-détruit… Maman… ”
Ses paroles étaient entrecoupées de sanglots, et sa panique rendait difficile la compréhension de ce qu'il disait.
Kumo, visiblement agacé, perdit patience. « Articule bon sang, nya ! » lâcha-t-il, un peu brusquement.
“ Kumo ! ” Je lui lançai un regard de reproche, les sourcils froncés, comme pour lui dire de se montrer plus compréhensif. Pris de court, il détourna le regard, réalisant sa maladresse, son expression vexée trahissant son agacement, mais aussi une pointe de honte.
Je me tournai à nouveau vers le chaton, essayant de garder un ton apaisant :
“ Calme-toi, petit. Nous sommes là, tout ira bien. Veux-tu me dire ce qui s’est passé ? ”
Le chaton renifla avant de balbutier :
“ C-c’est le village… le chaos… L’arbre est devenu noir, et des ronces ont commencé à sortir de partout. Tout est détruit... J’ai perdu ma maman... ”
Il s'effondra de nouveau en larmes, ses petits épaules secouées de sanglots.
“ L’arbre est devenu noir ? Nom d’un poisson séché ! Yui, ce n’est vraiment pas bon du tout ! ” s’écria Kumo, commençant à s’agiter, ses oreilles dressées en alerte.
Je le regardai, intriguée et inquiète.
“ Qu’est-ce qui se passe, Kumo ? Je ne comprends pas, quel est le problème avec cet arbre ? ”
Il prit une grande inspiration, ses yeux s’élargissant d'inquiétude.
“ Si c’est ce que je pense... L’arbre millénaire est touché. ”
“ L’arbre millénaire ? ” ai-je répété, confuse.
Kumo acquiesça rapidement.
“ C’est l’arbre qui maintient l’équilibre et la paix dans ce monde. Si quelque chose lui arrive… Maman… ” Sa voix se brisa légèrement à la mention de sa propre mère, révélant une fragilité que je ne lui connaissais pas.
Voir Kumo et le chaton dans cet état d’angoisse faisait grimper la tension en moi. La gravité de la situation m’échappait encore, mais je commençais à comprendre que nous étions face à quelque chose de bien plus important.
“ Ne t’en fais pas, Kumo, tout ira bien. ” J’essayai de le rassurer, mais je n'étais pas sûre de mes propres paroles.
Je me tournai ensuite vers le petit chaton, lui souriant doucement.
“ Ne t’inquiète pas, petit, nous allons te ramener à ta maman. D’accord ? ” Il hocha faiblement la tête, et prit la main que je lui tendais.
“ Et maintenant, Yui, qu’allons-nous faire ? ” demanda Kumo, incertain.
Je soupirai doucement, partageant son hésitation.
“ Je ne sais pas, Kumo… Mais d’abord, ramenons ce petit à sa maman. Ensuite, on verra ce qui se passe. ”
Nous sommes montés tous les trois sur le Neko-vent, qui décolla rapidement. Guidés par le papillon bleu, nous survolions des villages plongés dans le chaos.
Le spectacle qui s'offrait à nos yeux était cauchemardesque. Là où il y avait autrefois des maisons paisibles et des champs fleuris, tout n'était plus que destruction. Des toits effondrés, des ronces noires enchevêtrées autour des bâtisses, des routes déformées par la végétation envahissante. Les villageois couraient dans tous les sens, criant à l'aide, certains s’enfuyant avec leurs enfants dans les bras, d'autres essayant de sauver ce qu'ils pouvaient de leurs maisons en flammes.
“ Mon dieu… ” murmurai-je, horrifiée. Je me souvenais encore de la tranquillité des villages que nous avions traversés avec Kumo il n'y a pas si longtemps. Maintenant, tout n’était que ruine et désespoir.
Après un long vol, nous avons enfin aperçu un arbre gigantesque, bien au-delà des autres, son sommet transperçant le ciel : l’arbre millénaire. Mais au lieu de la grandeur majestueuse qu’on aurait pu attendre, il était sombre, son écorce noire comme du charbon. De grosses ronces tordues entouraient son tronc, comme si elles aspiraient toute la vie qui en émanait autrefois.
“ Maman ! ” s'écria le petit, pointant du doigt une chatte en contrebas, visiblement paniquée, fouillant du regard la foule de villageois.
Nous avons atterri rapidement, et le chaton s’élança vers sa mère en criant.
“ Maman ! Maman ! ”
Elle l'attrapa dans ses bras, les larmes aux yeux.
“ Mon chéri ! Tu es sain et sauf ! Je t’ai cherché partout ! ”
Le petit, encore sous le choc, murmura :
“ C’est la fille et... et l’autre gros qui m’ont aidé, maman ! ”
Kumo, visiblement vexé, feula de frustration.
“ L'autre gros ?! ” s'écria-t-il, outré.
La mère, ignorant le commentaire de son fils, se tourna vers moi avec gratitude.
“ Je vous remercie infiniment. Je ne sais pas ce que j’aurais fait s'il lui était arrivé quelque chose. ”
“ Je vous en prie. Mais… que se passe-t-il ici ? ” ai-je demandé, encore sous le choc de ce que j'avais vu.
Elle hocha la tête tristement.
“ C’est l’arbre millénaire. La prophétie s’est réalisée… L’arbre a perdu la vie. ”
Kumo soupira lourdement, comme s'il avait craint ce moment toute sa vie.
“ C’est bien ce que je pensais, nya… ”
La chatte reprit : “ En ce moment, plusieurs villageois tentent de récupérer la pierre de vie dans la chapelle. Mais personne n’a réussi à ouvrir les portes. L’élu ne s’est pas encore manifesté. ”
J’étais perdue. Encore tout à l’heure, nous vivions dans une paix tranquille, ignorant qu’un tel désastre était sur le point de se produire. Que devions-nous faire ?
“ Qu’allons-nous faire, Kumo ? ” ai-je demandé, cherchant une direction, un plan.
La chatte nous regarda avec gravité.
“ Vous devriez vous mettre à l’abri tant que vous le pouvez. Je vous remercie encore de m’avoir ramené mon fils. Prenez soin de vous. ”
Elle s’éloigna précipitamment, tenant fermement son petit dans ses bras, tandis que tout autour de nous, le village sombrait dans le chaos. Des ronces sortaient du sol, déformant les rues, et les villageois couraient dans tous les sens, cherchant désespérément un refuge.
Je regardai Kumo avec incertitude.
“ L’arbre millénaire… Allons le voir. ”
Kumo hocha la tête sans un mot, et nous avons commencé à courir à contre-courant, vers la source du mal.
L’arbre millénaire était gigantesque. Ses racines s'enfonçaient profondément dans la terre, témoins de siècles de vie, mais il semblait aujourd’hui aussi vieux que le monde lui-même. Son écorce, autrefois vivante et colorée, était noire et craquelée. Des ronces épaisses s’élevaient autour de lui, comme des serpents venimeux. Tout en lui transpirait la mort et la désolation.
Je tremblais légèrement en le regardant.
“ Comment une telle chose a-t-elle pu arriver… Comment… ? ”
Alors que nous étions pétrifiés par cette vision, un groupe de chats passa en courant.
“ Dépêchez-vous ! L’élu peut être n’importe qui parmi nous ! Il n’y a pas de temps à perdre ! ” s’écria celui qui menait le groupe.
“ L’élu… ? ” ai-je pensé à haute voix.
Kumo hocha la tête. “ Ils doivent se diriger vers la chapelle dont cette dame nous a parlé, nya. Allons-y. ”
Nous avons commencé à suivre les villageois. Non loin, se dressait effectivement une chapelle. Elle était encerclée de ronces massives qui bloquaient l'entrée, semblant attendre l’élu pour s'ouvrir.
Alors que nous approchions, une étrange lumière émanait du centre des portes scellées, comme si quelque chose, ou quelqu'un, les appelait. Une force inexpliquée semblait vibrer dans l’air, et je ressentais un frisson me parcourir.
“ Yui… Tu ressens ça ? ” demanda Kumo.
J’acquiesçai, confuse. Quelque chose de puissant approchait. Était-ce nous ? Ou quelqu’un d’autre ?
La place était bondée de chats, chacun attendant son tour dans une ambiance de plus en plus tendue. Kumo, toujours plus pragmatique, décida que nous devions aussi tenter notre chance et se dirigea directement vers la file d'attente.
“ Tu veux vraiment essayer toi aussi ? ” ai-je demandé, perplexe.
“ Qui ne tente rien n’a jamais ses croquettes ! ” répondit-il, un air joueur sur le visage.
Chaque chat s’avançait tour à tour vers l’autel, mais les ronces qui en protégeaient l’entrée ne bougeaient pas. Le murmure d’impatience grandissait dans la foule, et quelques félins, excédés par l’attente, décidèrent de forcer le passage.
“ Bande de cervelles de souris ! Qu’est-ce que vous faites ? Vous voulez nous condamner tous ou quoi ? ” hurla un chat noir à la fourrure hirsute.
“ On perd du temps ici ! Si on ne fait rien, on finira tous en pâtée ! ” répliqua un autre en tentant une nouvelle fois de se frayer un chemin.
Les ronces, réagissant à cette agitation, se resserrèrent soudainement autour de l’entrée, éjectant violemment les malheureux qui avaient tenté leur chance. La situation devenait de plus en plus chaotique, et les éclats de voix se faisaient de plus en plus stridents. Malgré cela, la file avançait, lentement mais sûrement.
C’était bientôt au tour de Kumo. Je l’attendais, le cœur serré, en bas des escaliers, observant avec une certaine appréhension son approche vers l’autel. Lorsqu’il revint, les oreilles basses et l’air déçu, je compris immédiatement que la porte n’avait pas bougé d’un millimètre.
“ Kumo… ”
“ Peut-être que j’aurais dû miauler ‘ronron ouvre-toi’ ? ” dit-il en forçant un sourire, essayant de masquer sa frustration.
Je ne pouvais m'empêcher de soupirer. Il semblait toujours trouver l’occasion de faire de l’humour, même dans les situations les plus critiques.
“ On fait quoi maintenant ? ” ai-je demandé, hésitante.
“ Comment ça ? Tu ne vas pas tenter ta chance, toi ? ”
“ Hein, mais de quoi tu parles ? Je ne suis même pas un chat ! ”
“ Et alors ? Qui te dit que la prophétie parle d’un chat, hein ? Elle n’a jamais mentionné de moustaches ou de queue. Ça pourrait très bien être toi, ou même une sardine séchée ! ” plaisanta-t-il en agitant ses moustaches.
“ C’est insensé ! ” répliquai-je, mais je n’avais pas la force de discuter.
Kumo me saisit doucement par le bras et m’entraîna vers les portes. Gênée, je tentai de résister.
“ Kumo ! Arrête ça ! ” ai-je protesté, une légère panique montant en moi.
“ Comme je l’ai dit, qui ne tente rien n’a pas ses croquettes ! Nya ! ”
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