Alors que je m'enfonçais plus profondément dans l’obscurité oppressante, la lumière faiblissait, remplacée par une lourdeur palpable. L’air se faisait plus épais, presque suffocant. Mon souffle se fit plus court.
Devant moi, la masse noire que j’avais entrevue plus tôt commençait à se dessiner avec plus de clarté. Sa forme n'était ni fluide ni solide, ondulant comme de la fumée, mais avec une densité qui la rendait menaçante.
Elle palpitait, comme un cœur monstrueux, émettant une sorte de lumière sombre et inquiétante. Chaque pulsation semblait aspirer l'énergie autour d'elle, comme si elle se nourrissait de la peur elle-même. Il y avait quelque chose de vivant dans cette ombre mouvante, mais aussi de profondément dérangeant, comme si elle attendait depuis des siècles que je vienne à elle.
En son centre, au sol, se trouvait cette masse compacte et sinistre. Elle se dressait là, au ras du sol, une présence immobile mais terrifiante. Son contour était flou, et pourtant, on devinait une silhouette vaguement humanoïde, comme celle d’un enfant. L’absence de visage accentuait la bizarrerie de la scène, mais malgré cela, quelque chose en moi résonnait avec cette créature. Il me semblait l’avoir déjà vue, ou du moins… la connaître.
Je restais là, pétrifiée, cherchant à comprendre ce que j’avais devant moi. Mon esprit se perdait dans des hypothèses, mais je n’eus pas le temps de réfléchir plus longtemps. Soudain, sans avertissement, le monstre se mit en mouvement. Lentement d'abord, elle fit quelques pas incertains dans ma direction. Mais soudain, elle se précipita vers moi avec une rapidité déconcertante. Je n'eus qu'une fraction de seconde pour réagir, esquivant de justesse son assaut.
Mon cœur battait à tout rompre. Je n'avais pas prévu cela. Pourquoi étais-je venue ici sans plan ? Pourquoi avais-je pensé pouvoir affronter ce monstre ? J'étais totalement démunie, sans arme ni stratégie. Je n’avais rien sur moi, aucun moyen de l’affronter. C’était stupide. Comment avais-je pu m’aventurer aussi loin sans aucune préparation ? La panique s’emparait de moi.
Le monstre, lui, ne me laissa aucun répit. Il continua à me harceler, ses assauts répétés me forçant à esquiver sans cesse. Finalement, je n’eus plus d’autre choix que de l’affronter de front. Au moment où il chargea de nouveau, mes mains agrippèrent ses avant-bras, ou du moins ce qui semblait en être, pensant que je pourrais le maîtriser. Il était petit, frêle en apparence… mais c’était une terrible erreur de ma part. J’avais sous-estimé sa force.
À ma grande surprise, malgré sa taille réduite, il dégageait une puissance phénoménale. Avant même que je ne comprenne ce qui se passait, il renversa la situation en une fraction de seconde. D'un geste brusque, il me fit tomber en arrière. Je m'écrasai au sol, la douleur irradiant dans mon dos tandis que l’air quittait mes poumons.
Avant même que je puisse réagir, l’entité était déjà sur moi, ses mains sombres se refermant sur ma gorge avec une force implacable. L’air commençait à manquer, et plus j’essayais de me débattre, plus son emprise se resserrait, et plus je sentais mes forces s’amenuiser. Rien de ce que je faisais n’avait le moindre effet. C’était comme si toute mon énergie était aspirée par cette créature.
Alors qu'elle me maintenait au sol, étranglant lentement le peu de vie qu'il me restait, elle commença à marmonner quelque chose, une voix éthérée et glaçante, perçant à travers le silence :
“ Tu n'arrives pas à t'en défaire... Parce que tu n'en as pas envie... Tu ne veux pas quitter ce monde... Tu n'as aucune volonté de lutter… ”
Ses paroles se glissaient dans mon esprit, pernicieuses, effrayantes… mais terriblement vraies.
Les mots résonnaient en moi, comme une vérité cruelle que je n'osais pas affronter. Était-ce vraiment cela ? Pourquoi étais-je venue ici, après tout ? À quoi bon me battre ? Je n'avais aucune réponse aux tourments qui se bousculaient dans mon esprit.
Une vague de désespoir s’abattit sur moi. Je n'avais pas la force de continuer. Ce monde, cet instant de paix que je recherchais... tout semblait si lointain. Mon corps et mon esprit réclamaient le repos. Je voulais tout abandonner, m’enfoncer dans cette obscurité pour l’éternité.
Lentement, je lâchai prise. Mes mains, qui tentaient encore de repousser l’entité, glissèrent mollement sur ses bras. J’abandonnais. C'était la fin, et je l'acceptais.
Je sentis mes forces me quitter peu à peu. Mon souffle se fit de plus en plus court, l’air ne pénétrant plus dans mes poumons. La vue devant moi se brouillait, l’obscurité s'installait de façon définitive. J’étais à bout de forces, prête à tout abandonner. Je fermai les yeux, sentant mon esprit se dissoudre dans le néant.
Mais soudain, tout changea.
Alors que j’étais allongée là, prête à m’abandonner à l’obscurité, la pression autour de ma gorge disparut subitement, comme si l’ombre elle-même avait relâché son emprise. J’inhalai brusquement, l’air froid envahissant mes poumons brûlés par le manque d’oxygène.
Un vent frais caressa ma peau, soulevant des mèches de mes cheveux., et l’herbe sous moi était douce, accueillante. L'herbe fraîche caressait ma peau avec une tendresse que je n'avais pas ressentie depuis des années. Je rouvris les yeux, éblouie par une lumière douce.
Une voix, douce et familière, me tira de cet état flottant.
“ Yui, chérie. ”
Cette voix... Elle était familière, réconfortante, pleine d’une tendresse que je n’avais plus ressentie depuis si longtemps. Mon cœur s’emballa alors que je réalisais qui venait de prononcer mon nom. Une mélancolie douce me transperça le cœur.
Je me redressai d'un coup, cherchant l’origine de cette voix. Et là, dans une vaste plaine verdoyante, un champ de pissenlits s’étendait à perte de vue. Devant moi, se tenait ma grand-mère.
Mon cœur battait si fort que je pouvais l’entendre dans mes oreilles. Était-elle vraiment là ? Avais-je enfin trouvé le repos, ou était-ce une illusion ? Mon corps tout entier tremblait sous l’émotion.
“ G-grand-mère… ? ” parvins-je à murmurer, ma gorge nouée par les larmes qui menaçaient de couler.
Je me levai, mes jambes vacillantes, avant de courir précipitamment vers elle, des larmes roulant déjà sur mes joues. Sans réfléchir, je me jetai dans ses bras. Son étreinte était douce, réconfortante, exactement comme dans mes souvenirs.
“ Grand-mère ! Grand-mère, c’est bien toi, n’est-ce pas ? ” pleurai-je, mes mains accrochées à son vêtement comme si je craignais qu’elle disparaisse à tout moment.
Elle me serra contre elle, ses larmes coulant silencieusement le long de ses joues ridées. Elle me regarda avec ce sourire triste que je connaissais si bien, un sourire empli de mélancolie et d’amour infini.
“ Je suis tellement désolée, ma chérie, pour tout ce que tu traverses… ” murmura-t-elle, sa voix tremblante.
Je secouai la tête en essayant de sourire, les larmes brouillant encore ma vue.
“ Non, tout va bien, grand-mère… ”
Mais elle prit doucement mon visage entre ses mains, ses yeux pleins de tendresse et de tristesse à la fois.
“ Non, Yui… rien ne va. Si tout allait bien, tu ne serais pas ici, perdue entre la vie et la mort. Regarde-toi… tu as perdu ton chemin. Mais ce n’est pas une faiblesse de l’admettre. ”
Mes larmes redoublèrent, et je baissai les yeux, incapable de soutenir son regard. Toute ma vie, j'avais suivi un chemin imposé par les autres, ne laissant jamais de place à mes propres désirs. Je murmurai presque inaudiblement :
“ Je… je n’ai jamais eu le choix… ”
Elle soupira, ses doigts se refermant avec douceur autour des miens et son regard empreint d’une infinie compréhension.
“ Je sais, ma douce. Mais ce n'est pas une vie de laisser ton cœur se taire. Ce n'est pas un crime de vouloir être toi-même, d'exprimer qui tu es vraiment. ”
Elle prit mes mains dans les siennes, les serrant doucement. Ses paroles étaient remplies d'une sagesse profonde, une sagesse que j'avais toujours admirée.
“ Ce monde, tout comme la vie, te mettra face à des ombres qui te sembleront insurmontables. Mais sais-tu ce qu'il y a de plus beau dans la lutte contre les ténèbres ? ”
Elle marqua une pause, un léger sourire éclairant son visage fatigué.
“ Ce n’est pas la victoire, ni même la lumière au bout du chemin… C’est le fait de marcher, encore et encore, de te relever chaque fois que tu tombes. Ce combat, c’est là que tu trouveras ta véritable force, Yui. Et dans ce voyage tu ne seras jamais seule. Il y aura des cœurs, comme le mien, qui battront à l'unisson avec le tien. Des alliées, des amis, que tu n’as peut-être pas encore rencontrés. ”
Je sentis un bouleversement en moi, mes yeux baignés de larmes se levant vers elle.
“ J'ai peur, grand-mère... Et si je tombe à nouveau ? Si je n’y arrive pas… ? Je n’y arriverai pas du tout…”
Elle sourit doucement, comme si elle avait attendu cette question toute sa vie.
“ Tomber fait partie du chemin, ma douce. Ce n’est pas la chute qui compte, mais le courage de se relever. La douleur, les doutes, c'est grâce à eux que tu grandiras. Chaque cicatrice, chaque larme que tu verseras seront les marques de ta résilience. ”
Elle se pencha légèrement, ses yeux brillant d’une sagesse ancienne.
“ Mais pour cela, il faut que tu éveilles ton cœur, mon enfant… Ce cœur qui demeure silencieux depuis si longtemps, emprisonné par les attentes des autres. Écoute-le, laisse-le te guider. C’est en éveillant ton cœur que tu trouveras la force de te battre, que tu trouveras ta voie. ”
Je restais silencieuse, touchée par ses mots.
“ Alors… bats toi, pas seulement pour survivre, mais pour vivre pleinement. Laisse ta lumière briller, même dans les momets les plus sombres. Et tu verras, chérie, meme dans les ombres les plus profondes, tu trouveras toujours une étincelle d’espoir. ”
Je fermai les yeux, sentant un poids s'alléger dans mon cœur.
Grand-mère m'enlaça une dernière fois, avec une douceur infinie, et murmura à mon oreille :
“ N'oublie jamais, Yui... Ton cœur est ta plus grande force. Éveille ton cœur, laisse-le parler. ”
Alors que je répondais à son étreinte, je sentis la chaleur de son corps s'estomper lentement. J'ouvris les yeux et sous mes doigts, la silhouette que j'aimais se dissolvait doucement, comme un souffle emporté par le vent, avec des dizaines puis des centaines de papillons bleus, s'élevant vers le ciel dans une danse légère et silencieuse.
Les papillons tourbillonnaient autour de moi, leurs ailes lumineuses caressant mon visage avec tendresse avant de s'éparpiller dans la brise et de disparaître dans l'immensité.
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