Soma s'enfonça dans le fauteuil et soupira. Il avait bien cru ne jamais réussir à s'échapper des bureaux à temps, et c'était déjà un miracle qu'il ait été autorisé à quitter ainsi brutalement son poste. Quant à l'avion, il n’y en avait pas plus tôt... Plus la traversée... Deux jours... Il se serait écoulé plus de deux jours entiers depuis l'accident à son arrivée. Si seulement il l'avait appris aussitôt... Si... Avec des si on pouvait remonter loin. Si ce n'était pas arrivé, si Seishi n'avait pas été là-bas... S'il n'avait pas fait la plus grosse bêtise de toute sa vie... et probablement de celle de Sei, il y avait un peu plus de deux ans...
Toute la journée il avait essayé de joindre les parents de Seishi, en vain. Avant le décollage il avait scruté tous les journaux à la recherche d'informations sans plus de succès. Il enrageait. A présent délivré de l'urgence des préparatifs, son esprit donnait libre cours à son tourment et à sa douleur. Par tous les dieux, jamais il n'avait tant regretté la durée excessive du vol entre le Japon et la France. Cette durée se trouva rapidement écourtée lorsque, après quelques instants, son esprit torturé céda le pas à l'épuisement physique de son corps, le plongeant dans un sommeil lourd.
Soma répondit au sourire si doux qui lui réchauffait le cœur et courut rejoindre la silhouette qui s'était détournée.
- Oh Sei... murmura-t-il en l'enlaçant, enfouissant son visage dans la nuque blonde. J'ai eu si peur... souffla-t-il encore à son compagnon qui ne réagit pas.
Soma sentit soudain tout le poids de celui-ci reposer sur lui. Il vacilla et s'affala à terre, le corps inanimé dans les bras. Ses yeux s'agrandirent d'horreur mais il ne put articuler un son. Du sang... Du sang maculait tout le torse de Seishi et ruisselait également de son visage tel des larmes pourpres s'échappant des yeux clos.
- S... Sei ? parvint-il enfin à articuler. Sei non !! hurla-t-il en tentant de découvrir la cause de ces hémorragies. Sei je t'en prie...
Alors les yeux bleus s'ouvrirent et... la haine, si étrangère habituellement à Seishi, qui s'y trouvait le pétrifia. Avec un hoquet il sentit les mains de Seishi se refermer sur sa gorge.
- Que...
- C'est de ta faute, souffla la voix glaciale de Seishi.
Ses yeux lancèrent une dernière supplique avant de se fermer et il eut un dernier gémissement muet tandis que les mains de Seishi se resserraient impitoyablement.
- Bon voyage en enfer.
Soma se redressa en sursaut, le cœur affolé et la respiration haletante. Il regarda anxieusement autour de lui mais, à part un regard un peu curieux de son voisin, personne ne semblait se préoccuper de lui. Il souffla et se réadossa. Apparemment il avait au moins évité de crier. Kami-sama... Ceci n'était qu'un rêve... Un horrible cauchemar plutôt... Heureusement. Il regarda sa montre. Quatre heures seulement d'écoulées. Il mit sa montre à l'heure française, près de huit heures à supporter encore.
Il décida d’aller se rafraichir aux toilettes. Finissant de se laver les mains, il ne put s’empêcher de s’observer dans le miroir. Sous cette lumière presque agressive, il lui renvoyait une image peu flatteuse. Les reflets plus clairs dans ses cheveux noirs y étaient accentués mais l’idée d’un brushing semblait bien lointaine. Ses cheveux courts étaient sales et en bataille. Sa mèche habituellement bouffante tombait tristement sur son front. Ses yeux noisette avaient des cernes terribles et son visage semblait encore plus creusé que d’habitude sous cette luminosité. Ses anciens amis auraient du mal à le reconnaitre, eux qui se moquaient du soin qu’il portait à son apparence.
Il soupira et s’aspergea le visage en se donnant de petites claques pour se réveiller avant de sortir pour regagner sa place.
Il songea à son cauchemar et, de nouveau, se demanda ce qui l'attendrait à l'arrivée.
Il hésita sur la conduite à suivre. Devait-il aller directement à l'hôpital ? Non, mieux valait se débarrasser de ses bagages, si maigres soient-ils. Ensuite il lui fallait trouver l'hôpital ayant accueilli Seishi et s'y faire admettre. Il jura doucement. Cette absence d'information le faisait bouillir. Les journalistes avaient dit que Seishi était entre la vie et la mort. Une journée s'était encore écoulée. Qu'en était-il à présent ? Les journaux distribués à bord étaient trop anciens pour être d'une quelconque utilité. Il déglutit péniblement. Et si... S'il arrivait trop tard... Et si le pire s'était produit... Soma écarta vigoureusement ces pensées funestes et terrifiantes. Une telle chose était impossible. Oh par tous les dieux, il donnerait n'importe quoi pour avoir des nouvelles. Au moins il était sûr qu'en France il en obtiendrait enfin... Ensuite... Il ne pouvait empêcher une autre angoisse de l'étreindre. Et si on ne l'autorisait pas à voir Seishi ? Il se rassurait en se disant que les parents de Seishi devaient tout ignorer des circonstances de son retour au Japon après son année d'étude en France et de ce qu'il impliquait de leur passé commun à Seishi et lui... Mais il était sûr qu'au moins une autre personne ne désirerait pas sa présence et le rejetterait avec fermeté. Il serra les poings. Qu'importe... Il verrait Seishi à tout prix ! Il ne serait tout de même pas parvenu à Paris pour échouer si près de lui. Ensuite Seishi seul serait juge. Les meilleurs amis pour la vie avait-il, il y avait bien longtemps, fait promettre à Seishi. Sei lui pardonnerait-il une fois encore, lui laisserait-il une chance de reconstruire ce qu'il avait si stupidement brisé ?
Il
songea à nouveau à la photo montrée aux informations, prise apparemment à son
départ en Afrique. Il lui avait semblé amaigri et pâle... Mais surtout, à
présent qu'il y réfléchissait, triste et défait. D'une certaine manière ce
n'était pas Sei... Cette photo semblait sans vie, sans cette étincelle qui lui
manquait tant à présent, et cruellement. Il frissonna et tenta d'oublier ce que
cette idée apportait de funeste dans la situation présente. Il avait confiance.
Sei avait été pris en charge dans les meilleurs délais et il savait qu'il
bénéficierait des meilleurs soins. Mais que diable faisait-il là-bas aussi ?!
Lorsqu'il l'avait quitté, Sei jouissait d'une place enviée et un avenir
brillant s'ouvrait à lui en France. Alors pourquoi était-il parti ? Etait-ce un
voyage, une mission transitoire ? Vu le dévouement de Sei, ce n'était
effectivement pas étonnant. Mais confusément il sentait que c'était plus que
ça. Le peu que laissaient transparaître les articles de presse qu'il avait
trouvé avant son départ suggéraient une mission bien établie. Que signifiait
une mission longue durée ? Quand Sei avait-il quitté la France ? Il pria tous
les dieux pour que cela n'ait pas un lien direct avec lui... sans grande
conviction.
D'une manière ou d'une autre c'était de sa faute, et cela, jamais il ne se le
pardonnerait. Il réprima encore la petite voix insensée qui lui disait que s'il
était la cause de ce départ de Sei alors peut-être que, contrairement aux
apparences, tout n'était pas perdu. Il songea avec
amertume au message douloureux de leur amie Sana qu'il avait reçu avant de
partir et auquel il n'avait pu répondre. La pauvre, après si longtemps sans
nouvelle, elle aussi avait été choquée et bouleversée d’apprendre que, celui
qui était il n’y a pas si longtemps son plus cher confident, était, à la fois, en
fait en Afrique, victime d’une attaque armée et entre la vie et la mort. Il se
promit de l’appeler dès qu’il en saurait plus. Et puis il aurait sûrement
besoin de son aidre pour gérer ses affaires sur place. Il soupira, et une fois
encore, une réflexion familière revint le hanter… Peut-être que si Sei avait
aimé Sana plutôt...
Il fut distrait un instant de ses sombres pensées par l'arrivée de l'hôtesse avec des rafraîchissements.

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