- Soma-kun c'est bien vous... Vous êtes venu.
Une petite femme japonaise s'avança vers lui, les larmes aux yeux et lui ouvrit les bras. Il s'y jeta, ravalant la boule qu'il sentait se former dans sa gorge.
- Kimiko oba-san.
- Soma... Nous n'avions pas eu de nouvelles depuis si longtemps. Je suis heureux que vous soyez là, intervint une voix masculine plus grave.
Soma releva la tête.
- Monsieur Desmond d'Arbois... fit-il en rendant l'accolade offerte. Je me languissais de vous revoir mais pas à ce prix croyez-moi. J'ai essayé de vous contacter mais...
- Monsieur, Madame, interrogea le garde d'un air quelque peu pincé. Dois-je comprendre que vous connaissez effectivement ce jeune homme ?
Les parents de Seishi se retournèrent.
- Oh… Oui, bien sûr. C'est un proche, il faudra lui faire un laissez-passer dans les plus brefs délais.
L'homme leva les yeux au ciel puis s'en fut en grommelant. Soma reporta son attention vers ceux qu'il considérait comme ses parents adoptifs, anxieux.
- Je suis venu dès que j'ai su. Est-ce que… Comment est-il ?
Kimiko-san se blottit dans les bras de son époux, détournant la tête. Celui-ci baissa les yeux.
- Nous sortons de chez le médecin. Seishi a été pris en charge rapidement et sa blessure par balle est traitée. Hélas… il n'a pas repris connaissance. A présent la seule chose qu'ils peuvent nous dire c'est qu'il est dans le coma…
Soma resserra ses bras sur lui-même, frissonnant soudain.
- Il… n'y a aucun moyen de savoir quand il se réveillera, continua le père de Seishi. Si il se réveille un jour…
- Oh dieux ! sanglota sa femme. Pourquoi lui ?
Un silence douloureux s'ensuivit alors.
- Est-ce que… vous pensez que je peux… le voir ? Souffla enfin Soma.
Kimiko-san se redressa.
- Oh j'espère, nous allons voir les responsables immédiatement !
Soma observa le couple tandis qu'il le conduisait dans les couloirs. Kimiko-san, qui, étant elle-même métisse, n'était pourtant pas parmi les plus petites des japonaises, paraissait maintenant minuscule et recroquevillée sur elle-même. Même la bonté, reflet de celle de Sei, en permanence sur son visage ne pouvait y effacer la détresse et le désespoir. Le père de Seishi lui aussi paraissait défait, vieilli. Ses épaules s'étaient affaissées et Soma jugea qu'il devait sembler de la taille de son fils au lieu de le surpasser encore en carrure. Sur ses tempes, des cheveux argent parsemaient à présent la chevelure blonde. Soma inspira profondément. Et Sei… Il ne l'avait pas vu depuis plus de deux ans… Deux ans, l'Afrique… et cette attaque…
La surveillante le tira de sa rêverie.
Compte-tenu des circonstances plutôt exceptionnelles, la visite lui fut heureusement accordée après quelques négociations (c'était la spécialité du père de Sei après tout !).
Lorsque la porte fut ouverte pour lui il resta sur le seuil, soudain incapable de bouger. La main réconfortante du père de Sei sur son épaule lui redonna le minimum de courage nécessaire pour franchir le cap. Il pénétra donc dans la chambre sous le regard du garde de service. Seules les machines animaient la pièce de leur vie et cette fois, au lieu de les gérer, c'est Sei qui en dépendait. Il s'approcha lentement du lit.
Au premier abord on aurait presque pu le juger en meilleure condition que sur la photo précédent son départ, un teint plus que halé, le visage moins creusé... Mais l'illusion ne durait guère et, si l'on pouvait manquer la pâleur mortelle masquée par la peau brunie, la poitrine bandée, le cordon respiratoire, les électrodes et perfusions, et par dessus tout l'absence totale de mouvement et d'expression, ramenaient bien vite à la terrible réalité.
Il sentit les larmes couler d'elles-mêmes sur son visage, comme au rythme des bips des machines. Alors seulement il réalisa ce qu'on lui avait dit mais qui était passé au second plan depuis deux jours où une seule chose avait compté, revenir auprès de Sei. Seishi avait failli mourir, à présent il demeurait dans le coma et il risquait de ne jamais plus reprendre conscience... Un vertige terrifiant s'empara de lui.
- C'est ma faute, hoqueta-t-il avant de se sentir à son tour basculer dans le néant.
Soma reprit conscience quelques minutes plus tard, se demandant où il était. Le visage de Kimiko-san et l'infirmière à son côté se chargèrent de le lui rappeler.
- Que... Que s'est-il passé ? interrogea-t-il en constatant qu'il était à demi-affalé dans un fauteuil de la chambre de Sei.
- Un petit malaise ! répondit l'infirmière. Vous ne pensez pas que c'est assez de votre ami ? Etes-vous souvent sujet à des malaises de ce type ?
Soma hocha la tête, devinant à demi ce que ce flot de paroles en français pouvait signifier.
- Mmm... J'ai un traitement pour le cœur... mais c'est vrai que je n'ai guère dormi ni mangé depuis deux jours...
- Vous nous avez fait peur Soma-kun, sourit la mère de Seishi en lui prenant la main. A présent que vous êtes là, il va falloir vous ménager.
Il lui rendit son sourire.
- J'essaierai Kimiko-san, j'essaierai...
- Avez-vous déjà déposé vos affaires quelque part ? intervint le père de Seishi. Vous êtes toujours chez vous en notre demeure.
Soma s'assombrit et jeta un bref regard à Seishi.
- Je... Je vous remercie Monsieur Desmond d'Arbois mais... j'ai déjà pris une chambre d'hôtel près de mon emploi. En fait, pour venir ici j'ai accepté un poste en France, je dois donc envisager un séjour longue durée.
Le couple échangea un regard mais jugea qu'il n'était pas temps d'approfondir.
- En tout cas, je ne vous laisserai pas partir sans vous offrir à dîner ce soir, menaça Kimiko-san fermement. Ce ne sera pas fête mais...
- Merci Kimiko-san, j'en serais très heureux.
L'infirmière s'était éclipsée après avoir contrôlé l'état de Seishi et leur avait laissé encore cinq minutes. Soma se releva et se plaça donc auprès de ce dernier, s'autorisant seulement à prendre sa main. Elle lui paraissait si froide. Il la serra convulsivement. Il aurait aimé faire tellement plus, mais ce n'était pas pensable en ces circonstances. Il la lâcha alors à regret, gardant au plus profond de son cœur ses véritables pensées, et suivit les parents de Sei à l'extérieur.
Le repas s'écoula dans une ambiance presque familiale pour Soma. Le fait de se retrouver ainsi dans cet appartement, avec les parents de Sei lui rappelait tant de jours heureux... Hélas, la principale lumière en était à présent absente. Ils s'efforcèrent cependant de ne pas laisser la détresse les submerger et de converser le plus sereinement possible. Il expliqua de quelle façon il avait pu revenir en France et quelle était sa situation présente, ses hôtes lui assurant immédiatement une nouvelle fois que, s'il avait besoin de quoi que ce soit, ils étaient à sa disposition. Puis, il se sentit obligé d'éclaircir également les circonstances de son départ de France, à la fin de son MBA. Même si ceux-ci tentaient de rester discrets, il voyait bien qu'ils s'interrogeaient à ce sujet. Il se contenta de dire que c'était nécessaire pour l'emploi pour lequel il était pressenti depuis longtemps et que sa famille également l'attendait là-bas. Ce qui en un sens était bien une partie de la vérité. Il détourna la conversation lorsque le père de Seishi, qui connaissait le sien, demanda de ses nouvelles. Son père était également un sujet qu'il préférait éviter.
Tout ceci lui permit tout de même d'apprendre que les Desmond d'Arbois avaient séjourné un an en Belgique peu après son départ de France. Cela expliquait donc pourquoi il n'avait jamais pu les joindre durant ces premiers mois. Ils revinrent alors sur le départ de Seishi, deux mois environ après le sien, comme il l'avait craint. Cela avait été pour eux un choc inattendu. Encore aujourd'hui, ils ne parvenaient à en comprendre les motifs, et personne ne semblait pouvoir les éclairer. Seishi n'avait aucun problème apparent dans sa vie professionnelle comme privée. Ils ne pouvaient croire que seul un dévouement à la cause humanitaire pouvait être la cause de ce changement si brusque en plein internat. La gorge serrée, Soma dut nier avoir connaissance de quoi que ce soit à Kimiko-san qui savait que quelque chose de terrible avait dû bouleverser Sei et qu'il n'était plus le même. Elle se désolait que Seishi n'ait voulu se confier à personne, pas même lui ou Camille qui, pourtant, étaient si proches de lui. A la mention de Camille, Soma ne put s'empêcher de frémir. Mais que pouvait-il faire ? Ce n'était surtout pas à lui de parler au nom de Sei, et il semblait, fort heureusement pour lui, que la cousine de Sei n'ait pas non plus pris la liberté de le faire... Camille, la seule qui connaissait la vérité... pour son plus grand malheur. Peut-être que sans elle... s'il avait pu... Il chassa ses pensées, les « si » étaient à présent inutiles. Il avait cru mourir de rage lorsque la mère de Sei lui avait avoué avoir tout tenté en vain pour le joindre afin qu'il dissuade Sei de cette folie. Trop de coups du sort s'étaient acharnés sur eux, le passé était trop cruel, mais il savait au plus profond de lui qui avait déclenché cette malédiction. Il prit congé le plus vite possible de ses hôtes, cette réunion n'était plus qu'une torture à ses yeux et il ne souhaitait plus à présent qu'être seul avec son désespoir et sa culpabilité. Un taxi le déposa à son hôtel et il se jeta sur le lit, donnant enfin libre cours à sa détresse qui le porta vers un sommeil bien mérité.

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