Clark s’approche à grands pas de Tayla et de cette princesse de conte de fées que semble être Riana, par sa voix, sa personnalité, ses formes (un homme malhonnête sur l’apparence n’est pas un homme sur qui on peut faire confiance). Toutes sont des choses très superficielles que Clark utilise comme évidence pour saisir l’occasion d’adresser la parole à cette femme.

Il est tellement anxieux qu’il se force à ne pas vibrer. Son corps de marbre tremble comme une feuille. Cet acte est d’une envergure colossale pour le jeune homme. 

Pour des gens ordinaires, il ne s’agit que de se présenter, de rentrer dans la conversation, divulguer sa personne et son intérêt, ainsi que l’occasion de passer du temps de qualité, pour apprendre à connaître l’autre personne.

Ai-je mentionné que Clark n’a presque aucune expérience avec les femmes ?

Clark n’a presque aucune expérience avec les femmes.

C’est ce même manque d’expérience qui fait en sorte que Geneviève ait pu passer sous le radar du jeune homme depuis déjà trois ans. 

C’est cette même Geneviève qui, dans une rage à en faire frissonner les créatures des bas-fonds, s’enfuit dans un coin tranquille de la bibliothèque, une mesquinerie en tête.

Clark est physiquement plus imposant qu’il ne le pense. Il fait au-dessus d’une tête plus haute que Tayla et Riana, qui ont à peu près la même taille.

Quand la directrice prend compte de la nervosité presque enfantine de Clark, elle se fâche.

« Monsieur Deschaines, j’ai demandé à ce que les employés retournent à leur poste. Qu’est-ce que vous avez à me dire qui est si urgent ? »

Retourner la conversation sur elle-même ? Ce que Clark a de la misère à percevoir à cause de sa panique interne, c’est que Tayla voudrait que personne n’approche Riana autre qu’elle. Intérieurement, la directrice est livide.

Clark, cependant très têtu, continue dans son chemin.

« Et bien en fait, je… J-J-Je ne voulait pas… euh, comment dire, je ne voudrais pas, non en fait je ne veux pas parler à… vous ? »

Clark bégaye, au point qu’il a de la misère à se comprendre lui-même. Il est rouge tomate. Si ça continue comme ça, il va devenir rouge cerise, peut-être même mauve bleuet.

« Pardon ? », demande Tayla avec son regard persécuteur. « Je te conseille de faire attention à ce qui sort de ta bouche, Deschaines. »

Quand Tayla t’appelle par ton nom de famille, pas de prénom, pas de monsieur ou de madame, ça signifie que tu as foiré.

« Vraiment vraiment désoler ! Mon but n’était pas de vous insulter ! »

Riana regarde la scène, un peu confuse, mais un peu moins gênée, même un petit sourire aux lèvres.

Soudainement, deux cris proviennent d’une autre salle, la première à gauche quand on entre dans Vil de Ville.

« Au secours ! Il y a une sorte de spectre qui vient de soulever Alex dans les airs ! »

Effectivement, dans la section des archives de littérature contemporaine, l’employé dénommé Alex est en train de flotter à seulement quelque centimètre du sol contre son gré.

Tayla, en entendant ça, garde sa surprise. Clark est abasourdi. Encore un autre mutant qui vient déranger Vil de Ville. Cette bibliothèque se fait assiéger par le monde fantastique et dystopique qui a envahi le reste de Troposville. 

Toute l’anxiété de tout à l’heure disparaît en un clin d’œil. Une confiance presque indestructible remplace le charabia des trente dernières secondes.

« Madame la directrice, tenez ça un instant ».

Avec cette énergie d’homme à tout faire, Clark passe à Tayla des tomes de Jano l’aventurier. Elle regarde avec stupéfaction ces lectures.

Clark marche avec férocité vers la section, dans l’espoir d’anéantir la menace.

Une partie de Tayla veut se mobiliser pour faire quelque chose. On parle d’une personne ayant reçu une mutation qui se promène sans ménage et qui a su passer la détection des caméras de sécurité. C’est une seconde urgence en l’espace de 48 heures.

D’un autre côté, elle a une bonne idée de qui la personne derrière ce coup serait, et elle sent qu’il s’agit d’une farce inoffensive. 

Et puis, les livres de Jano l’aventurier lui rappellent à quel point Clark est un roi des dingueries, lui aussi.

« Je ne peux pas croire qu’un homme aussi bien bâti et responsable que lui peut se défaire de ces bonnes qualités à la présence d’une femme », se dit-elle, un peu désemparée. « Je ne savais pas qu’il aimait Jano l’aventurier à ce point là. Pas mal sûr qu’il déteste ce genre de littérature, non ? »

Son questionnement interne se fait interrompre par quelque chose qu’elle ne s’attendait pas à voir.

Riana se met à rire à chaudes larmes.

« Je ne sais pas qu’est-ce qui vient juste de se passer, mais c’est drôle ! », dit-elle, enthousiaste. « J’aimerais apprendre à le connaître, ce Monsieur Deschaines. »

Cette phrase glace Tayla.

« Écouter mademoiselle Riana, nous revenons d’une situation un peu rocambolesque. Je vous propose qu’on aille prendre un café ensemble, si ça ne vous dérange pas, mais dans tous les cas, il faudrait que vous sortiez. »

Riana est un peu prise au dépourvu, mais elle accepte avec joie ce cadeau que Tayla lui offre. C’était son but original pour se déplacer jusqu’ici, après tout. Un simple et charmant hochement de tête, puis Riana va attendre dehors.

Pendant ce temps, Tayla va vers la salle de littérature contemporaine. Un paquet de livres est rangé dans des boîtes encaissées en vitre. Des tables pour lire ainsi que des ordinateurs se trouvent éparpillées dans la salle, prêt à utilisation.

Au beau milieu, Clark et d’autres employés sont en train de prendre des notes. Alex se porte bien finalement, le soi-disant fantôme ayant disparu.

Geneviève est dans la salle, en train de chicaner Clark pour ne pas avoir attrapé le spectre. Tayla et Geneviève se croisent du regard. Elles échangent un clin d’œil complice, que Clark remarque. 

« Malheureusement, ta jolie princesse est partie se promener loin de ta tronche, jeune homme. Va suivre des cours de séduction, tu veux bien », annonce la patronne d’un ton moqueur. Clark grince des dents.

« Ouais ouais je sais, j’ai encore manqué mon coup, on dirait. », balance le jeune Clark, un peu déprimé.

« Aussi », ajoute Tayla en lui redonnant les bouquins de Jano l’aventurier, « elle dit que ces livres sont un peu désuets et que tu devrais apprendre de la vraie littérature. »

Clark balance dans une furie que Tayla n’a vu que très rarement chez lui.

« Foutue Jano ! Me faire prendre des livres parce qu’il aime trop voir son nom partout ! Quel parent a décidé de nommer leur fils après un héros de bande dessinée de toute façon, hein !? »

Les yeux enflammés de Clark font rire Geneviève, bien contente de sa revanche.

Tayla, contente en retour que ses employés soient sains et saufs à leur tâche, suis Riana dehors.

« À demain peut-être, madame la directrice ! » Exprime quelques employés qui la voient partir. Clark, malgré le commentaire négatif, sait que la directrice veut généralement son bien et qu’aujourd’hui est une journée stressante pour tout le monde. Il fait un maigre, mais humble salut, en essayant de sourire le plus naturellement possible.

Tayla lui porte de nouveau un regard maternel avant de saluer à son tour d’un signe d’au revoir à ses employés.