12 h 6

En sortant de Vil de Ville, Tayla aperçoit Riana, qui la regarde avec une question en tête.

« Ça va sonner un peu maladroit de ma part madame Tayla, mais j’ai oublié mon cellulaire chez moi. On est quel jour aujourd’hui ? »

« Oubliez son cellulaire. Vous avez le luxe de faire une chose pareille. Oublier mon cellulaire serait l’un des pires obstacles à mon travail. »

« Ah bon ? Et comment ça ? », demande Riana.

« Une directrice reçoit beaucoup trop d’appels. », exprime Tayla en riant. « On est le jeudi 23 mai. »

Le soleil brille fort aujourd’hui. Peu de nuages se promènent dans le ciel bleu clair. Elle regarde les trois policiers au loin qui discutent proche de leur bagnole. Ils ont l’air préoccupés.

« Donnez-moi un moment s’il vous plaît. », dit la directrice en rejoignant les policiers. « Messires, merci pour votre travail de ce matin. Je sais que je peux être un peu chiante par moment, mais vous comprenez la sévérité derrière des archives aussi importantes volées. »

Le policier bavard, Richard Young, la regarde, un air contrarié. 

Depuis le début de la journée, cette dame le traîne de la patte. Elle lui ordonne un tas de trucs, oublie ces mêmes ordres pour divers personnages anodins et force un climat autoritaire sur ses hommes à lui, alors qu’ils sont policiers. Ils sont censés appliquer la loi du pays.

Tayla McKenzie est étrange.

Elle a appelé d’une main décidée pour qu’il se présente au poste. Lui, Richard, policier depuis quatre ans seulement, après être sorti d’une dépendance à l’alcool sévère. 

Maintenant sobre, maintenant dans le top 20 des meilleurs nouveaux policiers dans sa ville natale de Thermosville, maintenant sur le point de devenir chef de brigade lui aussi.

Richard ne fait pas confiance à Tayla, surtout pas pour sauver sa propre peau. Elle est dangereuse.

« Au moins, vous êtes honnêtes sur ça, madame McKenzie. Cela dit, je viens de parler à mon chef de brigade. Je ne comprends pas quelle obsession il a sur vous spécifiquement, alors que vous n’êtes qu’une tête derrière cette bibliothèque surdéveloppée. »

« Votre ton de voix est déplaisant, Richard. »

Tayla garde un calme qui fait flipper les policiers avec ce regard, un serpent prêt à croquer leur pomme d’Adam une par une. Le bavard remâche ses mots.

« Tout ça pour dire que mon chef m’a demandé de vous faire part de cette info : ça fait déjà trois semaines depuis le dernier cas qui a disparu, sans laisser de trace. Plusieurs autres par le passé ont réussi à s’enfuir de Troposville. »

Tayla garde un brin de curiosité. Cette nouvelle devrait choquer, pourtant elle reste posée. Richard fait signe à ses deux camarades d’embarquer dans la voiture.

« On pensait qu’ils avaient un système souterrain de construit sous Atmos au complet pour passer incognito. », continue le bavard. « Pourtant, on a cherché partout. Les égouts du pays ne montrent aucun signe d’activité clandestine forte. Je voulais au moins vous l’annoncer, histoire de ne pas être surpris s’il s’échappe avec vos données. »

Riana observe de loin cette dynamique intense. Elle garde son inquiétude proche. Elle ne peut s’empêcher de voir une sorte d’adversité amère entre les deux cadres.

« D’accord. Merci pour l’information, Richard Young. »

Les deux autres policiers dans la voiture, Richard se laisse un peu lousse pour un questionnement plus personnel.

« Pourquoi moi, au juste ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter que vous m’appeliez ? Comment est-ce que vous avez eu vent de mon numéro de téléphone personnel ? »

Riana a un regard de choc en entendant ça. Elle a le numéro d’un policier dans ces contacts et il n’en avait pas la moindre idée ? Tayla l’observe, toujours aussi calme.

« Vous êtes l’un des meilleurs policiers de votre ville, non ? Quelqu’un d’aussi compétent que vous doit bien avoir des infos que des criminelles voudraient passer sans attendre. »

Richard laisse son étonnement visible pour Tayla, ne comprenant pas ce qui se passe. Des informations clandestines sur lui ? Ce serait suffisant pour faire un scandale dans le département. Quel genre d’infos aurait pu traverser jusqu’à cette femme de toute manière ?

« Richard, il y a bien une raison pour laquelle votre chef de brigade est obsédé sur moi. C’est fort probablement parce qu’il sait que j’ai une piste vers ce “système souterrain” dont vous avez fait mention. Je ne dis pas qu’il s’agit de ça, juste que vous devriez faire gaffe. », rétorque avec fierté la directrice. « On a assez placoté. Vous savez ce que je veux. Trouver l’homme derrière cette attaque sur ma bibliothèque. Faites votre travail, et peut-être que vous aurez la réponse que vous cherchez, Richard Young. »

Sur ces paroles moins galantes, Tayla McKenzie se retourne vers Riana et lui fait un signe de la suivre. Riana, ravie de savoir que cette confrontation est achevée, l’a suit en faisant un salut embarrassé à Richard.

Le policier bavard n’est plus aussi enchanté et retourne très vite dans sa voiture de police.

Clairement, Tayla McKenzie lui cache quelque chose.

* * * * *

Jeudi 23 mai — 12 h 10

Tayla McKenzie et Riana marchent dans un silence plus que pressant. La confrontation entre Tayla et la police fait peur à la jeune femme. Vraiment, ça c’est l’image que son père lui suggérait de l’infâme McKenzie à son apogée. Cet être dominatrice prend les taureaux par leurs cornes sans crainte.

Riana aimerait avoir ce genre de confiance en elle.

« Dites-moi, Riana, vous ne m’avez pas dit votre nom de famille », ouvre Tayla pour essayer d’enlever la tension qu’elle a créée.

« Oui c’est vrai ! Excusez-moi, j’étais tellement excité que j’ai oublié de me présenter formellement. Mon nom complet est Riana Perle Junior. Et, aussi, est-ce qu’on est obligé de se vouvoyer ? »

Tayla s’arrête, par coïncidence, devant son véhicule, une belle voiture sport d’un rouge éclatant. Elle se retourne avec un regard indécis vers la jeune femme.

«Quel âge avez-vous ? »

Tayla pose cette question avec une sorte d’appréhension.

« Et bien, j’ai 22 ans, madame McKenzie… ». Riana comprend assez vite qu’elles vont rester au stade de vouvoiement. Tayla prend une pause avant de reprendre le fil de la conversation.

« Prenons d’abord le vers, peut-être qu’en apprenant à vous connaître, je finirai par vous tutoyez ». Elle lance un sourire faible. Riana se contente de ça et sourit en échange. Elle peut sentir une distance entre elle et la directrice.

Si elle est comme son père l’a décrit, alors elle aimerait bien en apprendre davantage sur elle.