Read Amitié romantique :: 2. Le gala

Le lendemain soir, on peut se réjouir que l’ambiance soit déjà vive à la fête. Abigail est arrivée le plus tard possible dans la limite de la politesse, et porte comme demandé par le code vestimentaire une robe de couleur blanche. Le décolleté est très peu profond, trop prude pour une jeune mariée, pour autant il reste convenable à ses yeux. Les épaulettes lui donnent un minimum d’assurance, qui ne lui durera pas la soirée et elle en a que trop conscience. Elle porte également un bracelet discret au poignet, qui recouvre un gant blanc long jusqu’au coude. Triturer le bijou sera probablement son unique recours en cas d’angoisse, une astuce fournie par Louise.

Les hommes eux, doivent porter une fleur blanche en guise de boutonnière. Un attrait peu remarqué de la part d’Abigail pour qui leurs costumes se ressemblent tous. Que ce soit des hommes en noirs, ou avec des couleurs vives sur leur veston brodé, Abigail se retrouve indifférente face à leurs charmes.

La politesse voudrait qu’elle se présente aux hôtes dès son arrivée, seulement Louise ou Hugh n’étant pas visible de suite, Abigail se cherche immédiatement un lieu de retraite disponible dans la maison. Ce n’est pas sa première invitation, certes, mais il lui faut vérifier que cette alcôve au niveau du petit salon est toujours disponible en cas de besoin. S’assurer un lieu de repli est une stratégie nécessaire pour être certaine de tenir une soirée entière.

Les lieux sont festifs et accueillants. La musique est vive et chaleureuse, le quartet est placé dans un coin de la pièce tandis que le centre est envahi de danseurs et danseuses. Le thème de la soirée est très clair : le blanc recouvre toutes les tables, que ce soit par les nappes ou par les bouquets. Les lumières sont douces et les statues romaines sont disposées en suivant les colonnes symétriques de la salle.

La salle de réception est adjacente à plusieurs pièces, dont le grand salon qui mène au but d’Abigail. Traverser le grand salon se trouve être plus éprouvant que prévu, car en plus des danseurs au milieu de la salle, il y a également les bavards et les observateurs sur les côtés, et leur demander de se déplacer pour lui permettre le passage est bien difficile, surtout quand leur conversation leur paraît si passionnante. Abigail discerne quelques propos qui la rebutent, de par leur nature indiscrète et parfois même vulgaire.

En parcourant le grand salon, celle-ci surprend du coin de l’œil sa tendre amie. Louise est grande, un peu forte, avec des cheveux blond foncé et des yeux verts très doux. Sa robe blanche à rayures dorées est ravissante.”

Louise l’accueille à grands cris. La discrétion n’a jamais été le fort de son amie. Son énergie est communicative et Abigaïl lui sourit discrètement en retour. Il est bon d’être en compagnie connue dans une soirée aussi bondée. Peu de monde n’est pas à sa connaissance, sans pour autant être des visages amicaux comme elle.

Louise l’invite à se servir à boire, Abigaïl refuse ayant trop peur de ce que peut dire sa langue avec les effluves de l’alcool. Après les politesses, l’hôtesse lui avoue que revoir sa bonne connaissance lui fait du bien et que cela faisait trop longtemps depuis leur dernière entrevue.

Je vous assure que Hugh sera ravi de vous retrouver, la saison froide étant enfin finie, lui dit-elle.

De l’autre côté de la soirée, Hugh continue de chercher sa femme adorée. Cela fait des années qu’il l’aime et il l’aime toujours autant. Il est connu pour cette affection par ses proches. C’est un homme sérieux dans les affaires, mais pour autant, dès qu’il s’agit de Louise, il perd ses moyens et sa raison. Hugh est un homme grand et large d’épaules, ce qui le distingue fortement de ses pairs. Un de ses traits physiques favoris sont ses cheveux bruns et bouclés, assortis avec ses yeux sombres. Ses yeux qui se dirigent partout dans la foule, en quête de la seule personne qui les fait s’éclaircir d’un ton si chaud qu’est l’amour.

A regarder à l’horizon pour trouver sa femme, il était évident qu’un incident devait arriver et il arriva. Par chance pour Hugh, il renverse le verre de Violet, une amie à lui et non pas une simple connaissance. Le soulagement le fait oublier de présenter ses excuses, ce qui n’a pas été omis de celle-ci. Femme énergique, affirmée, elle n’hésite pas à le reprendre et le lui faire remarquer. C’était certes déjà son troisième verre, mais il n’allait pas être renversé sans être remplacé. Hugh lui offre donc d’aller lui en chercher un autre et de guetter pour lui sa femme en échange. Violet, conciliante, accepte.

Elle ne comprend pas comment cet imbécile heureux n’a pas trouvé sa femme plus tôt, elle est juste de l’autre côté du grand salon à discuter avec une jeune femme, d’apparence somme toute agréable si elle n’avait pas l’air si coincée dans sa robe. D’où vient cette habitude des anglaises à se forcer à rentrer dans des tenues alambiquées plutôt que réussir à être à l’aise dans leur corps la dépasse. Pour autant, en connaissance des mystères des robes féminines, Violet devine bien l’origine des problèmes de la jeune femme. Une silhouette plantureuse comme n’importe quel homme peut les apprécier.

Alors, as-tu trouvé ma chère ? lui demande Hugh, penché derrière son dos, interrompant des pensées agréables pour Violet.

Les deux comparses se tutoient depuis quelques années déjà, leur connaissance de longue date obligeant une certaine proximité.

Juste là, lui fait remarquer Violet. Attends, donne-moi mon verre avant que je te dise quoi que ce soit.
Tu es dure en affaires, mais soit, dit-il en lui tendant la coupe. Alors ?
A côté de votre sculpture romanesque, avec une jeune fille que je ne connais pas.

Après avoir reconnu sa femme, Hugh entrevoit Abigail, l’épouse de Lawrence et en informe Violet. Il s’empresse de la prendre par le bras pour l’emmener avec lui voir sa femme.

Violet esquive la foule comme elle peut, tirée par le bras par Hugh. Son regard est fixé sur la jeune femme. Quelle déception… Une femme mariée, alors qu’elle parait si charmante, malgré ses atours. Si elle avait voulu initier une correspondance cela aurait été beaucoup plus simple et accepté si jamais elle avait été libérée de l’emprise du mariage. Enfin, ce n’est pas comme si Violet était réellement intéressée, ce sont juste des idées qui lui passent par la tête, comme il peut lui venir chaque fois qu’une jolie demoiselle lui passe devant. En tout cas, c’est ce qu’elle essaye de se convaincre, malgré son regard qui persiste sur les formes d’Abigail et ne l’aide pas à détourner son attention. On croirait confondre avec une de ses femmes peintes au bord de l’eau… en admettant qu’elle n’était pas coincée dans ce torchon de tenue de soirée ou prostrée comme pour se rendre invisible.

Il est temps de penser à autre chose, Hugh a réussi à rejoindre sa femme.

Louise, ma douce ! Tu es loin de moi depuis trop longtemps ! s’exclame Hugh, s’approchant du duo.
Mon cher, vous risquez d’embarrasser nos invités… lui répond affectueusement l’intéressée.
Trop tard, soupire Violet.

Louise esquive pile à temps une embrassade de son époux, chose habituelle à voir chez le couple pour leurs amis proches, car en effet, ce n’est pas que la raison que Hugh oublie en présence de sa femme mais aussi le respect de la politesse et des convenances.

Changeant de sujet, Louise constate à haute voix qu’Abigail ne connaît pas encore Violet, une amie de son mari.

Abigail, je te présente Lady Violet-
Violet. Juste Violet, la coupe-t-elle.

Abigail chuchote quelque chose, et Violet lui demande de répéter. Elle s’exécute, mais la demande lui faisant un effet terrible sur sa confiance en elle, elle répond encore plus bas. Violet n’en dément pas et lui demande encore de répéter.

A-t-on déjà entendu voix plus discrète ? constate-t-elle.
Mon épouse, puis-je vous convaincre d’un entretien ? propose Hugh, ignorant la remarque de Violet.
Si c’est si joliment demandé, répond-t-elle simplement.

Hugh la prend par l’épaule doucement et ils disparaissent ensemble dans la foule. Clairement, Hugh n’avait pas plus d’intérêt que cela sur la conversation, son attention est focalisée sur son épouse et la beauté de ses atours.

Abigail se retrouve en tête à tête avec l’étrange amie de Hugh. L’embarras ne fait qu’augmenter ses rougeurs et elle se sent chaude du visage, pour autant sans avoir touché à l’alcool. Elle a malgré tout essayé de parler plus fort. Apparemment ce qui aura été plus fort était sa gêne.

Elle observe discrètement l’inconnue qui a certainement dû prendre offense de son excès de discrétion. La femme est grande et très mince. Ses cheveux sont très courts, coupés en carré à la hauteur de la mâchoire, elle présente une peau un peu halée, et des yeux verts qui regardent dans la direction où sont partis Hugh et Louise. Sa robe ne respecte pas le code vestimentaire imposé par l’hôtesse, elle arbore une tenue à manches de mousseline, un velours fin d’une couleur rouge sang. Ses chaussures plates de soie vert sont ravissantes aux yeux d’Abigail. Pendant qu’elle l’observe, Abigail n’arrive pas à imaginer comment entamer la conservation.

Le silence se fait éloquent au point où Violet finit par se sentir obligée d’intervenir.

Je vous présente mes excuses si mon intervention vous a dérangée. Je cherchais simplement à ce que vous ne soyez plus intimidée par ma présence, dit-elle d’un ton sec malgré tout.
Je n’étais nullement intimidée…

Violet lève un sourcil. Elle n’est manifestement pas convaincue de la réponse.

Votre robe a l’air… agréable ?
Merci.

Le silence revient rapidement. Abigail se sent serrée dans sa robe. Elle l’a choisi pour dissimuler ses formes le plus possible, mais qu’il est dur pour elle de rester ainsi debout sans pouvoir respirer. Pour autant, elle sent que ce qui la gêne plus encore reste la conversation.

Je ne suis pas à l’aise avec des personnes qui me sont étrangères, se surprend-t-elle à avouer à Violet.
Je ne suis pas à l’aise non plus. Qui le serait ? C’est le meilleur et le pire moment d’une relation. On peut être qui on veut, à la seconde suivante, le masque tombe et on redevient soi-même.

Abigail est circonspecte. Elle réalise que peut être, elle peut être comprise.

Et puis, continue-t-elle, je ne mentirais pas si je disais que ces soirées ne sont pas mes moments de prédilection. Je préfère largement être à ma ferme.

Ce dernier commentaire permet à Abigail de comprendre le teint de Violet.

C’est une occupation peu commune, réagit Abbie.
Mais une occupation certainement plus agréable qu’être ici, vous en conviendrez.

Abigail aurait pu prendre cette dernière remarque pour elle. Seulement, elle remarque Violet qui se tourne vers le bouquet de roses blanches. Elle en retire une et lui offre, après avoir effleuré son visage par maladresse avec les pétales. Le geste semblait toutefois calculé.

A très bientôt, Abbie.

Abigail reste pantoise, avec la rose à la main. Elle observe Violet s’éloigner, et passer hors de vue dans la foule. Elle repose la fleur dans le bouquet et s’éclipse de la soirée vers son coin de refuge avant que Louise ne revienne pour la forcer à rester plus long.

Une fois dans son recoin, Abigail se fait la remarque qu’elle aurait presque aimé parler plus long à la femme, si elle n’avait pas été aussi directe sur son regard au sujet de sa timidité.