Lady Harold est une femme d’un statut de noblesse important. Un statut qui exige chez elle nombre de qualités, comme la prestance, la connaissance mais aussi la sociabilité. Ainsi, tous les ans, elle organise un thé avec les personnalités du Hampshire. L’invitation est pour de nombreuses personnes, ce qui peut être anxiogène pour Abigail, mais on ne dit pas non à une invitation de Lady Harold, alors bien qu’elle soit remise depuis peu, celle-ci se doit d’accepter.
Violet est également conviée, à son grand étonnement, car elle ne fait pas partie de la noblesse. Lady Harold l’a certainement invité par générosité, en espérant qu’elle rencontre un bon parti et fasse un bon mariage. Cela ne peut être plus loin des véritables objectifs de Violet ces derniers temps.
Abigail arrive devant l’immense demeure de Lady Harold : Havant Park. Ce bâtiment de plusieurs étages est un domaine d’une douzaine de chambres, de multiples jardins et fontaines ainsi qu’une immense forêt. Les pierres claires confèrent une allure royale à la bâtisse.
Devant la façade du domaine s’étend le parc de Havant, où se déroule le thé. Déjà un grand nombre de personnes se sont retrouvés sur place, et plusieurs ateliers sont proposés pour les occuper. Des tables de jeu de cartes, une allée de jeu de quilles, une exposition de statues récentes comme antiques et un ensemble de musiciens à cordes. C’est au niveau de ces derniers que Abigail retrouve un visage familier : celui de miss Lucas.
Elle apprend qu’en tant que fille adoptive de Lady Harold, elle a beaucoup participé à l’organisation des activités. Elle est notamment un peu anxieuse du fait que les hommes vont certainement organiser une chasse sur le domaine, elle qui est troublée par la violence de cette activité. Abigail ne sait que dire pour la rassurer, alors elle l’invite à l’accompagner pour choisir des pâtisseries pour accompagner le thé. Un petit sourire esquissait les lèvres de Miss Lucas et c’est en voyant les fameuses pâtisseries que Abigail comprend son origine. En effet, Lady Harold a fait preuve d’une étonnante originalité et fantaisie en choisissant les pâtisseries en question. Miss Lucas lui explique que son frère est revenu d’un séjour en Arabie orientale et que là-bas, ces desserts au miel et à la pistache sont célèbres. Abigail en déguste un et comprend tout de suite pourquoi Lady Harold a souhaité partager cette découverte. C’est comme goûter un cabinet de curiosité.
Miss Lucas présente Abigail à de nouvelles connaissances, celle-ci se contente de saluer poliment et d’approuver les sujets de conversation d’un signe de tête. Miss Lucas la met relativement en confiance, cependant rencontrer de nouvelles personnes n’a jamais mis Abigail à l’aise. Elle tente donc de chercher un moyen de fuir rapidement le groupe qui s’est formé. Son opportunité se présente quand elle voit de loin les Harper, en compagnie d’une autre personne qu’elle n’arrive pas à reconnaître de loin. Elle fait un signe à Miss Lucas et s’éloigne discrètement pour rejoindre son amie. En s’approchant, Abigail hésite à faire un mouvement de recul : elle reconnaît Anthony. Trop tard, Louise l’a vue venir vers elle et la salue vivement de la main.
Abigail ! Comment vas-tu ? Tu étais avec Miss Lucas, je suis ravie que vous vous entendiez bien, lui dit-elle.
Oui, c’est une jeune femme très appréciable. Discrète mais avec un goût certain pour la musique, je lui demande régulièrement conseil à ce sujet.
Tu m’en vois très heureuse !
J’apprécie les dernières connaissances que je me suis faites ces derniers temps.
Ah oui ? intervient Anthony.
Abigail est anxieuse. La dernière fois qu’Anthony s’est intéressé à son sujet de conversation, cela avait tourné en méchanceté gratuite. De plus, celui-ci a l’expression de quelqu’un qui souhaite qu’on l’interroge plus encore sur le fond de sa pensée. Elle décide donc de faire le contraire.
Tout à fait, dit-elle simplement.
Fort bien, répond Hugh, interrompant également le cours de la conversation.
Louise reprend joyeusement la discussion avec son mari sur la chasse qui va venir. Aucun silence n’a été assez fort pour mettre mal à l’aise Louise, qui a toujours un sujet de causerie à apporter à un groupe attentif.
Abigail ne remarque pas Anthony qui se penche à son oreille :
Vous devriez peut-être veiller à vos nouvelles relations. Elles ne vous apporteront pas toutes du bon, très certainement, lui chuchote-t-il à l’oreille.
Je vous demande pardon ? Je ne suis pas sûre que ce soit un sujet de conversation approprié, dit-elle à mi-voix, en mordant la moitié de ses mots.
Tout à fait approprié si on veut protéger la réputation d’un ami. Saviez-vous que Violet a déjà fréquenté par le passé un homme marié ? Vous ne voulez probablement pas qu’elle s’approche de votre foyer sachant cela.
Je vous interdis ! s’exclame vivement Abigail.
Les mots sont sortis plus vite que ses pensées et surtout plus forts qu’elle ne l’aurait envisagé. Louise et Hugh se sont tus et quelques personnes autour d’eux se sont retournés dans leur direction. Il est maintenant trop tard pour faire demi-tour. Abigail rassemble son courage, respire un bon coup et enchaîne :
Je vois que vous ne reculez devant aucune bassesse pour semer la discorde ! Sachez, monsieur, que rabaisser autrui en prêtant attention aux ragots ne vous met nullement en valeur, au contraire, vous baissez ainsi dans l’estime de tous ! Je vous demanderais de ces-
Anthony agrippe le bras d’Abigail subitement.
Je vous conseille de retirer ce que vous venez de dire.
Hugh avance d’un pas.
Et moi, je vous conseille d’ôter votre main de notre amie, dit sèchement Hugh, le poing serré.
Tss… lâche Anthony.
Il relâche le bras d’Abigail et s’éloigne du groupe, les yeux bavards rivés sur eux.
Je, hum… Je suis désolée, je vais m’absenter également, j’ai besoin de prendre l’air, dit Abigail.
Reviens-nous dès que tu le souhaites, lui répond Louise, manifestement inquiète.
Abigail s’absente un moment au kiosque du jardin, sous les lilas parfumés.
Elle est surprise par la présence de Violet, déjà assise en train de regarder à l’horizon.
Excusez-moi, je ne savais pas que le lieu était déjà occupé, je retourne au parc principal.
Pourquoi retourner là-bas ? J’apprécierais votre compagnie et j’ai comme l’impression que vous avez besoin de prendre l’air également. Asseyez-vous donc à côté de moi.
Abigail s’exécute et s’assoit près de la jeune femme.
Le calme est rassurant et fait du bien à Abigail, qui avait besoin de se ressourcer après sa confrontation avec Anthony.
Elle respire calmement, appréciant l’odeur des lilas en fleurs et la vue d’une petite fontaine pas plus haute que deux pieds. Violet, quant à elle, tente de faire de même, mais son regard n’arrête pas de revenir sur la robe cyan de la dame. La subtilité des plis du textile lui donne envie de le froisser. La proximité d’Abigail, avec ses cheveux attachés sauf quelques mèches, lui procure le besoin de la décoiffer. Sa pensée est distraite par les propos tenus par la jeune femme :
A vrai dire, il est bon pour moi de vous croiser. Je voulais vous remercier de vive voix de m’avoir entretenue durant ma convalescence. C’était vraiment très généreux de votre part.
Cela aurait été généreux si je ne l’avais pas apprécié, or mon unique regret est que vous ayez été dans l’état qu’était le vôtre quand je suis venue vous voir.
Les deux comparses se taisent, apprécient le calme du jardin.
Violet remarque la main d’Abigail posée sur le banc de pierre sculptée, proche de sa cuisse. Songeant d’abord à se retenir, Violet cède finalement à son désir de vouloir approcher sa main de la sienne. Les doigts se touchent, mais Abigail ne recule pas sa main. Violet se voit espérer que ses sentiments soient acceptés.
Violet, je dois vous parler de ce qu’a dit Anthony à votre sujet.
Je me fiche de cet homme. Il y a plus important en ce moment qui se déroule, pour que je me préoccupe de ce qu’il a bien pu dire sur moi.
Vous ne comprenez pas, il…
Non. Ne voyez-vous pas que je vous désire terriblement ? Que je souffre des moments proches de vous sans pouvoir vous toucher, vous apprécier toute entière ?
La main de Violet entoure celle d’Abigail et la presse légèrement.
Je… Je ne sais quoi dire.
Ne disons plus rien alors. Laissez-moi essayer d’exprimer mes sentiments d’une autre manière.
Abigail acquiesce, sans réaliser la mesure des propos tenus par Violet qui se penche vers elle.
Son regard est brûlant et l'ensorcelle, elle se sent chavirer et une explosion de chaleur se produit soudainement dans son cœur quand les lèvres de Violet parviennent à caresser les siennes. D’abord doucement, langoureusement, puis voyant que Abigail accepte le baiser, Violet se rend plus impatiente, plus pressante et dévore la lèvre inférieure d’Abigail. Sa main se place dans la nuque de celle-ci et l’amène à pencher son visage vers l’arrière tandis que les lèvres de Violet se dirigent vers ses oreilles puis son cou.
L’intimité et la proximité de la femme brûle Abigail à l’intérieur d’elle-même, elle ressent une vague de désir venir en bas de son ventre et elle se surprend à poser une main fragile sur la hanche de Violet. Elle ne veut pas qu’elle arrête, sous aucun prétexte. Elle ressent enfin une volupté, une chaleur sans limite et ne souhaite pas s’en séparer…
Soudain, une pensée de son mari lui vient en tête. Elle recule instantanément et relâche sa prise sur la hanche de Violet.
Je ne peux pas, je ne dois pas… Je suis mariée et…
Abigail se lève et s’enfuit en courant.

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