Abigail arrive à Ferneham en suivant les directives de Violet et se trouve en pleine foire du village. Celle-ci est immense, beaucoup plus grande que celles qu’elle a déjà aperçu par le passé et les personnes sont venues massivement profiter des attractions proposées et des stands.

Les accoutrements fascinent Abigail. Les habitants et propriétaires de stand se sont déguisés pour l’occasion, accessoires fantaisistes et vêtements de toutes couleurs parent leur tenues.

Abigail s’est installée près de la fontaine de la place, comme promis. Cette fontaine est discrète et la pierre n’est pas si travaillée, mais l’eau permet un rafraîchissement certain par cette chaleur. 

Abigail attend plus longtemps que prévu, et la tentation des stands se fait de plus en plus grande, alors elle se lève et cède à ses envies. Son regard était attiré en particulier vers un atelier de sucreries diverses, de parfums fleuris qui guident les passants vers eux. Violette, lilas, coquelicots… Tant de parfums et de variétés sont disponibles à la dégustation qu’Abigail en perd son objectif initial de vue : retrouver Violet.

A côté de ce stand se trouve également un étalage de cordonnier avec des chaussures aux ornements et fantaisies ravissants. Le travail de l’ouvrier était très raffiné et une paire en particulier capte son attention.

• Elles vous iraient bien, dit une voix masculine derrière elle.

Distrayant de ses rêveries, Abigail prend mal la remarque du gentleman et lui répond avec un sec :

• Je suis certaine d’être capable de le juger par moi-même.

Rebutée, Abigail s’éloigne du stand en se disant que décidément, certains hommes manquent d’étiquette, à engager la conversation avec une femme à laquelle ils n’ont pas été présentés.

Elle fait donc mine de se diriger vers un autre présentoir, ayant complètement omis sa rencontre de son esprit. L’étalage présente une collection de figurines en cire de toute forme et tout activité. Un enfant jouant avec une roue et un bâton, une jeune fille battant son éventail ou encore deux personnes âgées assises sur un banc. Parmi les statuettes, deux en particulier résonnent en Abigail : deux femmes se prenant par la main. Il n’est pas inhabituel pour deux amies féminines de se montrer leur affection ainsi, mais pour Abigail, ce rapprochement répond à un profond désir en elle de reconnaissance par autrui. Elle demande le prix au marchand, n’écoute pas la réponse et tend trois pièces de monnaies. 

• C’est plus que ce qu’il vous a demandé, intervient le même homme que tout à l’heure, qui manifestement a suivi Abigail.

• Je vous demanderai de ne plus m’adresser la parole s’il vous plaît, lui répond-elle et elle tend tout de même les trois pièces au commerçant.

Celui-ci emballe dans une boîte les figurines et la referme avec un ruban bleu, qu’il tend à Abigail. Celle-ci serait ravie, s’il n’y avait pas eu l’intervention du jeune homme importunant. Elle offrirait peut-être la paire de jeunes femmes à Violet ? Violet ! Cette pensée la ramène à elle, et elle se rend compte que le temps s’est inexorablement écoulé depuis ses méandres et qu’elle s’est grandement éloignée de la fontaine de départ. Elle se met à courir rapidement, en prenant garde de ne percuter personne parmi la foule, et se retrouve de nouveau à la fontaine, toute essoufflée.

Les mains sur les hanches, elle reprend difficilement son souffle. Elle prie qu’elle n’ait pas loupé Violet, mais malheureusement, elle est introuvable autour de la fontaine. Les seules personnes visibles sont deux enfants qui s’amusent avec l’eau, leurs parents qui les surveillent près d’eux, et le gentilhomme de tout à l’heure. Il la dévisage de loin, ce qui l’a met très mal à l’aise. Elle se sent regardé sous toutes ses coutures, et elle se met à espérer que Violet arrive rapidement pour la tirer de ce pétrin.

Malheureusement, la seule personne qui approche est le jeune homme. Il a une courte barbe, des cheveux mi-longs et bouclés noirs. 

• Je voulais vous présenter mes excuses pour tout à l’heure, je ne souhaitais pas vous causer un embarras, je ne voulais que vous servir.

• J’imagine que vous pouvez considérer la chose faite.

Abigail se tourne, le regard à l’horizon, cherchant Violet. Les bras croisés, elle tente comme elle peut de manifester son mécontentement à cette personne qui clairement n’a de cesse de dépasser les limites de la bienséance. Cela lui rappelle doucement Violet, ça et ses yeux verts perçants qui cherchent à la sonder.

• Lady Abigail, je ne pense pas que ce soit une façon de m’accueillir… dit l’homme mystérieux.

• Comment connaissez-vous mon prénom ? demande-t-elle en se tournant vivement vers le jeune homme

Un sourire empli de malice, le jeune homme fait un pas en avant vers elle.

Ce regard, cette gestuelle : c’est la réalisation. Quelle n’est pas la surprise d’Abigail quand elle constate que le jeune homme n’est nul autre en vérité que Violet déguisée ! Le déguisement est simple : une tenue d’homme respectable, portée à la perfection. Le veston est bien taillé, et les bretelles ne suggèrent pas la poitrine de Violet, qui a dû la comprimer. Sa frange est plaquée sous le haut de forme, et l’absence de bijoux allège son visage.

• Violet ?

• Tututut, aujourd’hui c’est William. Pour vous, et pour tout le monde. Aux yeux de tous, aujourd’hui, nous serons un homme et une femme, amoureux, qui nous baladons dans une foire pour apprécier l’instant comme tout le monde.

• C’est… une excellente idée ! Comment vous est-elle venue ?

• Peu importe, venez, ma chère, profitons de l’instant.

Violet tend le bras pour qu’Abigail lui prenne, ce qu’elle n’hésite pas à faire à l’instant.

• Étant donné que vous avez déjà commencé à faire le tour des stands, que diriez-vous de faire le tour des manèges ?

• Oui, avec plaisir.

Abigail resserre sa tenue du bras de Violet pour communiquer son enthousiasme. Elles repèrent de loin une grande roue, dont la mécanique permet de voir les hauteurs depuis un siège qui monte en rotation. Le manège semble populaire chez les couples et les enfants, c’est donc naturellement qu’elles s’y dirigent.

Violet, ou plutôt, William, paye le forain pour réaliser un tour du manège et la paire se dirige vers la prochaine cabine. Abigail s’installe de manière hésitante, l’assise étant mouvante. Violet la rassure et en la tenant par la main, l’aidant à s’ asseoir. Elle s’assied ensuite à son tour, sans s’empêcher de poser la main sur la cuisse d’Abigail en évitant de se faire voir du forain. Une fois installées, Violet baisse la rambarde et le forain fait démarrer la machine.

Les pieds des jeunes femmes balancent dans le vide et tandis qu’une main tient la rambarde, l’autre s’accroche à la main de la voisine. Les cœurs battent à cette proximité, les regards sont tous deux orientés vers l’horizon. L’engin continue de monter et bientôt elles arrivent au sommet, inaccessibles au monde et à la vue d’autrui. Violet sent que c’est une occasion qui ne se représentera plus. Le soleil est au zénith, le ciel bleu couvert s’étend devant elles avec la ville et plus loin les prairies; mais pour elle, plus rien de ce paysage ne l’intéresse. Seul le visage à ses côtés, émerveillé par la vue, compte à ses yeux. Alors, elle prend délicatement le visage de son aimée en coupe avec sa main, et le tourne vers elle.

• Violet ? demande Abigail. Tu ne regardes pas le paysage ?

• Seul toi m’importe. Tu le sais n’est-ce pas ?

Comme pour confirmer ces mots, Violet se penche et embrasse avidement les lèvres d’Abigail. Le baiser se fait désespéré comme pour signifier tout le désir accumulé depuis leur dernière rencontre. 

Le manège les secoue et commence alors la redescente.

• Je n’ai pas envie que ça s’arrête, avoue Abigail.

• On ne fait que commencer.

Le couple sort de la cabine main dans la main. La marche lente, elles profitent de chaque instant passé dans la compagnie de l’autre. Chaque stand est visité et les bras de Violet se chargent des souvenirs à rapporter avec elles : des sucreries, une nouvelle paire de chaussures et des bougies.

Abigail apprécie l’écoute de Violet quand elle lui raconte durant la balade l’intrigue du dernier roman qu’elle a lu; Elle remarque l’attention qu’elle porte à ce qu’elle regarde dans les stands, et constate avec plaisir que dès que ses yeux s’attardent trop longtemps sur un quelconque objet, Violet se renseigne pour elle auprès du forain sur sa provenance, la méthode de fabrication et, s’ils conviennent à Abigail, le prix.

Violet est attentive aux moindres centres d’intérêt d’Abigail, qui se sent écoutée et surtout entendue. Elle en oublie de prêter attention aux objets et autres produits pour elle-même, jusqu’à ce qu' elles se retrouvent devant un stand de libraire. Abigail ayant déjà amples romans à lire depuis sa convalescence, elle ne voyait pas d’intérêt à en choisir un autre, jusqu’à ce qu’elle remarque les yeux de Violet briller d’intérêt devant un traité de méthodes de jardinage. Elle commençait à feuilleter les pages quand, astucieusement, Abigail lui propose de l’aider à choisir un roman dans ceux du rayonnage. Elle repose donc l’ouvrage et commence à s’enquérir des histoires auprès d’un des libraires, tandis qu’Abigail se dissimule et achète l’énoncé de jardinage auprès de la femme du libraire. Elle le cache dans une des boîtes d’achats à ruban et y voit les figurines de cire. Avec un sourire, elle en conclut que cette boîte sera destinée à Violet à la fin de la journée.

Le soleil commence à se coucher et avec lui sonne la fin d’une journée magique pour les deux femmes. La barbe de William a commencé à s’effacer, quelques cheveux de la frange féminine sont tombés, signe que le déguisement a fait son office et qu’il est temps d’arrêter la comédie.

Violet s’apprête à donner les paquets au cocher, quand Abigail intervient et retire la boîte au ruban bleu du lot. Violet ne pose pas de questions avec sa bouche, mais son regard en dit long, alors Abigail s’explique :

• J’ai pensé que vous auriez vous aussi envie d’avoir un souvenir de cette journée. Alors je vous ai fait préparer celui-ci. Me ferez-vous le plaisir de l’ouvrir à votre arrivée chez vous ?

• Oh… assurément. Si vous acceptez à votre tour ce présent.

Violet sort de la poche de son veston un petit étui en cuir. Elle en délace l’ouverture et fait tomber dans sa main l’objet de son attention : une jolie bague ouvragée en argent.

Abigail rougit d’un geste aussi osé, mais tend néanmoins la main droite, où Violet lui glisse la bague à l’annulaire. 

• J’espère que ça vous aidera à penser à moi durant mon absence.

• Vi-William, elle est… superbe.

En s’assurant que le cocher est occupé avec les bagages, Violet se penche pour déposer un baiser sur la main d’Abigail.