Si j’avais su, jamais je n’aurais écouté les stupides conseils de ce Grogosh ! Ah, celui-là, si je le revoyais, je lui donnerais le premier bain de toute sa longue existence et je tresserais les poils roux de sa fichue barbe, tiens ! “Va en France, y’a que des trouillards là-bas”, qu’il m’avait dit !
Moi, une Dullahan ! Humiliée de la sorte par de simples humains ! Je vivais dans une contrée reculée d’Irlande, comment j’aurais pu savoir que l’avancée technologique avait été si grande, quand même ! Ce n’était pas ma faute ! Je ne m’étais pas attendue à me retrouver dans un monde si vaste, si fou.
Quand j’ai débarqué en France, j’ai eu l’impression de me faire emporter par une sorte de tourbillon dévastateur où des milliers de voix gueulaient de concert. J’ai été propulsée violemment dans un univers où tout est pressé, où tout est vide.
Et moi, au sein de cette tumulte démence, je ne pas suis parvenue à suivre la cadence…
Ah, du bruit. Je vis l’enfant de tout à l’heure, avec son masque bizarre, s’asseoir en face de moi, toujours avec son sac sur le dos. L’adulte qui l’accompagnait se laissa tomber dans un fauteuil.
- Vous êtes enfin décidés à m’écouter ? lançai-je, amère.
- C’est mon métier, répliqua l’homme. Je suis détective.
- Parfait ! jubilai-je. Voyez-vous, j’ai perdu mon corps ! Je me suis fait renverser par une espèce de bête entièrement couverte de métal et qui rugissait avec férocité ! J’ai été éjectée très loin et, depuis, je roule en quête de mon corps. En plus, j’ai perdu mon cheval, aussi…
- Tu es une… Dullahan ?
- Oui, c’est ça ! Je m’appelle Aylce Dalstrom !
Je le vis soupirer.
- Hé, dites-le tout de suite si je vous ennuie ! maugréai-je.
- On se calme, la Dullahan, répliqua-t-il avec un calme surnaturel.
Bon, j’étais bien contente qu’on veuille m’écouter, mais aussi vraiment déçue du manque d’émotions que je provoquai chez ces deux individus. Dire qu’à une époque, le hennissement de mon cheval suffisait à lui seul pour épouvanter toute une ville ! Ah, la belle époque… Je tuais sans vergogne et remords, je galopais à travers moult plaines, j’arrosais de sang mes ennemis et je chantais sous le clair de lune à pleine voix. Je frissonnai de plaisir à cette seule pensée…
Tous les humains sont comme ça, maintenant, ou ces deux-là sont-ils exceptionnellement placides ? Enfin, ces trois-là, si on compte le vieux qui m’a ramassé dans la rue pour finalement m’amener là… C’est tout de même absolument incroyable, ce manque flagrant d’émotion ! Sont-ils réellement humains ? Parce qu’ils ressemblent plus à des poupées vides qu’à de véritables hommes de chair et de sang.
Est-ce que les humains du XXIème siècle sont vivants ?… Bah, je l’expérimenterai dès que j’aurai retrouvé mon corps. Je suis sûr que le visage de ce cher détective déformé par la terreur sera un spectacle des plus plaisants.
- Tu as de quoi me payer ? me demanda justement le soit disant détective.
- J’ai quelques économies cachées, mentis-je aussi facilement que de façon éhontée.
M’est avis qu’il n’était pas dupe, mais il ne fit aucun commentaire. Une Dullahan ? Avec de l’argent ? C’est sûr, là, regarde dans mon oreille, il y a au moins deux pièces d’or ! Dumbass…
En attendant, l’enfant avait sorti de son sac une sorte de manuscrit pourvu d’illustrations bigarrées et le lisait tranquillement en balançant ses jambes.
- C’est ton gosse ? demandai-je en passant soudainement au tutoiement, curieuse.
- Non, répondit l’homme. Je m’appelle Amedeo Kea et lui, tu peux l’appeler Darkie. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais je vais te prendre en tant que cliente.
- C’est vrai ? me réjouis-je. Merci, Amedeo, t’es un chic type !
- Je ne fais pas ça gratuitement.
Roulà, qu’il est froid, ce type. Pas très sympa, mais bon… Au moins, il veut bien m’aider alors je vais arrêter de jouer les mauvaises têtes, sans jeu de mot. Le gosse avait délaissé sa lecture pour me regarder attentivement. Finalement, il me prit sur ses genoux. Amedeo ricana.
- On dirait qu’il t’a adoptée.
- Je ne suis pas un vulgaire canidé, me rebiffai-je. Je suis une Dullahan, une des plus terribles créatures qui ait vu le jour ! Je suis une donneuse de mort !
- Oui, oui.
Ledit Amedeo consulta de nouveau sa montre, à croire que le temps l’obsédait.
- Darkie, faudrait quand même que t’ailles en cours, grogna-t-il. Ou que t’ailles au moins à la cantine ce midi, histoire que je ne la paie pas pour du vent.
Le gamin ne bougea pendant un moment, à croire que je l’avais hypnotisé. Finalement, il se leva. Amedeo se tourna alors vers moi.
- Et toi… Aylce, c’est ça ?
- Ouais.
- Tu viens avec moi. On commence tout de suite.
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