Les humains sont quand même bizarrement foutus. Déjà, les femmes avec leurs seins, ces deux bosses de graisse qu’elles ont sur le devant du corps. Les hommes sont pas mal non plus avec leur service trois pièces, cette espèce d’instrument long et droit qui fait leur fierté. Techniquement, on est tous pareils. Pourtant, physiquement, on est tous différents. J’ai pu voir tout ça en détails avec le magazine que j’avais piqué à mon prof de maths et que j’avais feuilleté en cachette quand Ame’ était sorti de l’appartement.
Ame’, ou Amedeo, c’est celui qui m’a recueilli comme un autre aurait pris un chat ou chien. P’t’être un rat, même. Ça fait maintenant plusieurs mois qu’il m’a ramassé dans la rue, un lendemain de Noël, je me rappelle. J’étais malade à crever. Et Ame’ est arrivé. On pourrait le croire bon samaritain, mais c’est pas trop son style (d’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi il m’avait pris avec lui).
Pourquoi j’étais dans la rue ? J’avais fugué. Depuis trois mois. Et si vous vous posez la question, non, mes parents n’ont jamais signalé ma disparition à la police, tout du moins, je ne crois pas. Déjà parce que je n’ai pas de père. Enfin si, comme tout le monde, mais je ne l’ai jamais rencontré. Pourquoi ? Heu… Je vais éviter de répondre à cette question pour le moment.
Comme j’avais raté mon bus ce matin, Ame’ m’avait conduit en voiture jusqu’au collège avant de repartir avec Aylce à la recherche de son corps. Sur le coup, j’avais eu un peu peur de cette tête parlante, mais la vie est tellement remplie de choses bizarres que j’ai du mal à m’étonner des trucs qui m’entourent.
Après tout, je suis moi-même une bizarrerie.
Je restai un moment planté devant la grille avant de renoncer aux cours. Je n’avais aucune envie d’aller m’installer dans une salle où tout le monde allait me dévisager à cause de mon masque. Alors, je fouillai dans mes poches pour y piocher une clope et je l’allumai avec plaisir. Je n’en fumais pas souvent, une à deux par jour, max, pour ne pas devenir accro. Ame’, je ne savais pas s’il était au courant ou non. Ça ne m’étonnerait pas, mais comme il m’a jamais fait de remarques à ce sujet, moi, je continue.
Je vous fais visiter ? Suivez le guide ! Ici, c’est Honeda, une ville avec un long passé, fondée par une sorte de caravane, y’a des siècles de ça. Maintenant, c’est un truc tout moche et tout gris, hérissé d’immeubles de trente douze étages et des brouettes. On y trouve de tout, c’est peut-être pour ça qu’il y a tant de monde. Les routes sont toujours occupées par des files interminables de bagnoles toutes plus moches et déprimantes les unes que les autres. De temps en temps, ils ont planté un arbre sur les trottoirs. On a l’impression qu’ils surgissent de nulle part tant leur apparition sonne faux dans cet univers de citadin express. On pourrait tourner des films sur ces trottoirs. Y’aurait des choses à dire avec tout ce qui traîne par terre : graffitis, vieux et vieilles, déchets et fleurs ; un univers à part entière. Partout où tu poses le regard, de toute manière, il y a quelque chose à raconter. Y’a les affiches bariolées qui gueulent des pubs pour des déos, des feux rouges qui suspendent le temps, des vitrines clinquantes…
Bref, c’est Honeda et cette ville, je l’aime bien.
Je déambulai dans les rues goudronnées d’un pas lent. Les passants me bousculaient, d’autres me jetaient des regards étranges ou amusés. Je passai par le parc Van Gogh, un espace boisé avec une sorte d’étang au centre. Avant, c’était un lac, disait-on, et il y aurait même eu une auberge sur la rive. Aujourd’hui, le bâtiment a été réhabilité pour en faire un musée de la ville. Mouais, pas fun…
Je repérai le vieux Gianni assis sur son banc, son éternelle clope au bec et son vieux béret tout élimé sur la tête. L’était toujours là, lui. Jamais vu autre part, sauf ce matin à l’appartement, quand il a ramené cette drôle de tête parlante. Je ne savais pas grand chose de lui, mais y’avait pas mal de rumeurs qui circulaient sur son compte. Il serait un ancien mafieux, ou un drogué, mais, l’un dans l’autre, je trouve que ça va ensemble.
Je passai mon chemin et sortis du parc. Piochant dans mon sac, je tirai un steak encore congelé (je l’ai pris ce matin dans le congélo d’Ame’). Je me glissai alors sous un pont. C’était là que logeait une vieille bègue, dans un cabanon pourri dont elle ne sortait quasiment jamais. Un aboiement joyeux m’accueillit. Il provenait d’une boule de poils que j’ai trouvé y’a deux semaines, mon pote, on pourrait dire. Un vieux clebs tout rachitique et tout pelé, mais je l’aime bien. Je lui lançai le steak qu’il déchiqueta avec plaisir. Moi, je m’assis par terre et tirai la BD de ce matin de mon sac.
Vous savez, y’avait pas mal de trucs moches qui pouvaient m’arriver dans la vie. Me faire larguer par une copine, me blesser en sport, péter en classe, avoir un fils relou… J’aurais bien aimé… Bon, je n’ai que onze ans, alors, pour le fils, on repassera, mais le reste, ça m’est jamais arrivé.
Ma vie n’est qu’une vaste blague que Dieu a mis en place pour se marrer du haut de son nuage tout blanc, tout propre, tout en se goinfrant de popcorns. J’ai découvert la vérité quand j’avais neuf ans. Je vivais seul avec ma mère. Une mère bizarre, un peu toc toc avec de grands yeux effrayés. Dès que je lui réclamai un câlin, elle reculait. J’avais jamais bien compris ce qui lui faisait autant peur, mais c’était évident.
Moi.
Je lui foutais les jetons. J’ai réalisé tout ça grâce à un carnet. Ma génitrice était de sortie, les placards étaient vides et j’avais la dalle alors j’avais cherché un peu partout dans la maison quelque chose à me mettre sous la dent. J’ai trouvé un carnet.
Et j’ai rencontré mon père. Assez célèbre, ce connard.
Un violeur.
Je suis un gamin né d’un viol.
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