J’ai toujours voulu avoir un carnet, genre un rien qu’à moi, que j’aurais baladé partout pour tout y noter, que ce soit mes parties de jambes en l’air ou mes états d’âmes. Mais bon, faut se l’avouer, l’inspiration, c’est pas son truc, les visites à mon chevet. Elle ne devait pas me trouver bien intéressant. Ou trop con, c’est une possibilité.
Bon, j’avoue, cette idée, elle est récente, aussi. C’est depuis que je suis cloué dans ce putain de lit d’hôpital que j’y pense. Et que je pense à toutes les choses que je ne pourrai plus jamais faire.
Mon p’tit nom, c’est Brahim Auteuil, ouais, comme Daniel Auteuil, mais pas la même famille. Un putain d’acteur, celui-là. Comment ça, je dis beaucoup de gros mots ?
- Monsieur Auteuil, c’est l’heure de vos soins.
- Mon p’tit Célie ! me réjouis-je. Je ne pensais plus voir votre face de rat pendant encore un moment !
Mon infirmier ne me fit même pas le plaisir de ciller sous l’apostrophe toute en finesse. J’en ai usé, des infirmières, il faut le dire. A croire que mon humour n’était pas à leur goût. Célie, lui, tenait le coup depuis deux mois, ce qui était le record, jusque-là. J’avais pourtant mis le paquet le jour de notre rencontre, mais il avait à peine haussé un sourcil. J’ignorais ce qu’il avait vécu par le passé, mais il était solide, le p’tit gars.
Il déposa sur ma table de chevet un plateau bourré de trucs aux goûts vomitifs. Voyant ma grimace, Célie ne put s’empêcher d’esquisser un petit sourire.
- On commence par la piqûre ou la pilule ? me demanda-t-il pourtant d’un ton neutre.
C’est incroyable comment ce type pouvait être parfois chia, heu, pro, je veux dire, oui, très pro. A part les rares fois où je parvenais à le faire sortir de ses gonds, il demeurait toujours calme et poli. Et pourtant, j’en fais des efforts pour lui rendre la vie impossible !
- Ça dépend, je vous les rentre dans la gorge ou on les jette directement aux toilettes ?
- Monsieur Auteuil, ces médicaments vous permettent de combattre la maladie, vous ne devez pas négliger leur prise.
- Parce que tu vas me dire que je ne suis pas condamné, peut-être ?
- Mon…
- Un conseil, mon p’tit Célie, tu vas arrêter de m’appeler « monsieur Auteuil » ou je vais devenir infernal.
- Vous l’êtes déjà, Brahim, répliqua l’infirmier d’un ton cassant. Tendez votre bras.
- Vous avez un balai dans le fion.
- Et vous un caractère de cochon, j’ignore lequel de nous deux est le plus mal loti.
Ah bah voilà ! Un peu de répartie, ça c’est le p’tit Célie que j’aime. Allez, je vais être sympa. Je lui tendis négligemment mon bras. Il installa le garrot rapidement et frotta le creux de mon coude pour faire ressortir la veine. En quelques secondes, la seringue est entrée et le produit injecté. C’est un bon, faut le reconnaître. Pas comme l’autre blondasse que j’avais eu la dernière fois, Bonie qu’elle s’appelait. Je lui ai balancé quelques remarques bien senties, elle a demandé à changer de patient. J’ai failli être transféré dans un autre hôpital, mais j’ai plutôt gagné au change au final puisque je me suis retrouvé avec le p’tit Célie.
Il me tendit quelques gélules bicolores et un verre d’eau. Je fis la moue, peu enclin à l’obéissance. Célie attendait patiemment, l’habitude, sans doute.
- J’ai déjà eu à faire à pire que vous, me confia-t-il soudainement, un rictus aux lèvres. Alors ne vous attendez pas à ce que je me fatigue en premier.
Tiens, c’était rare de l’entendre parler de lui. Je tendis l’oreille, curieux.
- Attendez, m’indignai-je faussement, vous ne pouvez pas avoir rencontré un patient plus chiant que moi ! M’enfin !
- J’en vois un chaque matin avant de venir à l’hôpital. Une de mes petites sœurs est particulièrement récalcitrante quand il s’agit de ses médicaments.
- Famille nombreuse ?
- On ne peut plus ! ria Célie. Treize frères et sœurs, en tout et pour tout.
- Hé bien, vos parents sont productifs, dis donc !
Il n’ajouta rien et secoua les gélules sous mon nez. Mais je n’avais pas envie d’avoir ses saletés dans ma bouche, je tentai donc de le décourager.
- Vous n’avez rien de mieux à faire ? râlai-je. Allez chausser un jogging et faites un peu de course pour perdre la graisse de vos hanches. Peut-être que vous arriverez à attirer une belle bécasse dans votre lit pour enfin comprendre comment il faut profiter de la vie.
- Mais oui, Brahim, mais oui. Vos gélules ?
- Non.
- Monsieur Auteuil, soupira mon infirmier.
Ah, non, ça y est ! Il recommence ! Mais c’est pas possible de faire un pas en avant pour aussitôt en faire un en arrière ! J’vous jure qu’y a des claques qui se perdent parfois !
- Vous êtes étranger ou attardé ? lui demandai-je. Faut me le dire, mon petit, dans ce cas, je pourrai essayer de vous ménager si vous n’arrivez pas à me suivre.
Je le vis lever les yeux au ciel en guise de réponse. Hé oui mon gars, tu ne gagneras pas contre moi. J’ai enseigné dans un collège pendant près de quarante ans à des larves boutonneuses, crois-moi, du sarcasme, j’en ai à revendre. Célie me regardait maintenant avec un air fatigué. Ah non, il ne va pas jeter l’éponge lui aussi ! Pour une fois que j’en avais trouvé un marrant !
- Vous savez que vous êtes incroyablement exaspérant ? me lança-t-il.
- Je suis désolé si j’ai blessé votre petit cœur sensible, répliquai-je du tac au tac.
- Vous n’êtes jamais fatigué ?
- Demandez à mes partenaires sexuelles, elles sauront parfaitement vous répondre !
Un soupir franchit ses lèvres.
J’adore le taquiner !
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