Oh ennui mortel, quand tu nous tiens… Je grognai, rongeai mon frein, consultai l’heure sur mon portable. Moi, Jacobs Kles, dix-huit printemps, j’avais un important rendez-vous cet après-midi.
Bon, ce n’était pas exceptionnel. Plutôt hebdomadaire, je dirais, et ça vire au quotidien, ce qui est assez cool. Une fois, j’en avais parlé avec Nelson, mon meilleur ami, mais il s’était tellement payé ma poire que je m’étais promis de ne plus lui en faire part. Je m’étais vengé en lui mettant une raclée au basket, d’ailleurs. Bien fait pour lui.
La sonnerie retentit enfin. Le prof tenta de nous retenir pour nous donner les devoirs, mais nous, oui nous, bande de lycéens attardés que nous sommes alors que nous avons le bac le mois prochain… Bah, nous ne l’avons pas écouté. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’avais franchi la grille. Je saluai brièvement quelques amis avant de sauter dans mon bus qui démarra dans les minutes qui suivaient. Confortablement installé dans un siège, mon casque sur les oreilles avec la musique qui pulsait, je profitai du trajet pour vérifier que je n’avais rien oublié. Non, tout était là, dans mon sac. J’esquissai un sourire satisfait.
Le trajet ne dura qu’une vingtaine de minutes. Je pus bientôt m’arracher à l’atmosphère puant la sueur et la connerie pour retrouver l’air pollué du dehors. Ouais, pas super comme transition… Comment ça, je suis déprimant ?
Je m’élançai sur le trottoir après un coup d’œil à ma montre. J’étais en avance, pour une fois, ce qui était un bon point. Je n’aimais pas être à la bourre, mais il m’arrivait toujours des trucs incongrus qui me mettaient immanquablement en retard, à croire que j’avais la poisse.
Ah tiens, des trucs incongrus venaient justement de pointer leur bout de nez sous la forme de Henri et sa bande de crétins. Super, c’était bien ma veine.
- Hé, Jacobs ! m’apostropha-t-il. T’as l’air bien pressé, mon pote !
- Je ne suis pas ton pote, répliquai-je, froid comme un iceberg.
Je sentis une main peser soudain sur mon épaule. Râh, j’aimais pas ces types ! Toujours en train de chercher des noises aux autres, ceux-là, comme s’ils n’avaient rien de mieux à faire. Je jetai un regard derrière moi. Super, un autre glandu… Et ce qui devait arriver… bah, arriva, hein. Ils me chipèrent mon sac en riant comme des benêts et s’amusèrent à se le lancer les uns aux autres. Ils étaient six à se marrer comme ça et je voyais mon sac voler dans tous les sens. J’ai bien essayé la technique “allez les gars, on s’est bien marré, maintenant on arrête”, la diplomate, en somme.
Ce qui n’a pas vraiment marché.
En fait, ça n’a vraiment pas marché.
Nouveau coup d’œil à la montre. Ça y est, j’étais plus en retard que le lapin blanc, là !
- Bon, maintenant vous me rendez ce sac avant de vous en prendre une, sérieux, les mecs, z’avez quel âge !
Et ils continuaient de rire, ces p’tits cons ! Je poussai un soupir. Je détestai avoir à me servir de la violence parce que j’avais une trouille bleuâtre de m’abîmer les mains. Mais quand je vis mon sac s’éclater sur le trottoir, je vis rouge.
- Hé, les attardés, y’a des choses précieuses là-dedans !
- Ah ouais ? ricana Henri. Et tu vas nous faire quoi ?
Juste te latter la gueule, connard. Cependant, j’allais quand même éviter de dire ces idioties suicidaires à voix haute. Alors qu’il se penchait sur mon sac, je n’hésitai même plus. Je récupérai ma besace en quatrième vitesse avant de détaler comme un dératé qui aurait des lapins garous à ses basques. Ben oui, je fuis ! J’allais pas me battre, tout de même ! Ils sont six, hein ! Mon regard retomba sur ma montre et un juron m’échappa.
- Hé, merde, là, je suis vraiment à la bourre !
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