Un soupir me gagna. Ma rencontre avec Célie me trottait encore dans la tête. Qu’allait-il se passer, désormais ? Bah, peu de chance qu’on se revoit, je pense. Peut-être devrais-je changer d’épicier… Ça arrangerait bien Olivier, mais il n’y a que là-bas que je trouve d’aussi bon fruits. Déjà que je galère à en faire manger à Darkie, si en plus la qualité baisse, je suis sûr qu’il va refuser définitivement d’y toucher. Je me laissai aller en arrière contre le mur, les jambes étendues devant moi. Le gamin regarde un film d’horreur dans le salon en compagnie d’Aylce. Je perçois les cris de joie de la Dullahan d’ici. C’est qu’elle gueule plus fort que les acteurs, celle-là ! Curieusement, mes deux monstres de compagnie s’entendaient comme larrons en foire. Depuis quand je m’étais reconverti en nounou, moi ?
- Ame’ ?
Darkie se tenait dans l’encadrement de la porte. Dans le salon, la télé marchait toujours et j’entendais les hurlements de notre Dullahan privée et ceux des acteurs. L’enfant vint jusqu’à moi et grimpa dans le lit où j’étais assis depuis notre retour. Je reposai la guitare que j’avais mise sur mes genoux.
- Qu’est-ce qu’il y a ? l’interrogeai-je.
- Frère ?
Depuis le temps, j’ai appris à décrypter son langage qui se résumait parfois à des monosyllabes. Je parvenais aujourd’hui à trouver la phrase qui se trouvait derrière le mot. Là, il devait se demander qui était en réalité Célie.
- Célie et moi avons été adoptés par le même couple. Nous n’avons pas de liens de parenté, mais nous avons vécu un moment sous le même toit.
- D’autres ?
- Oui, il y en a onze autres.
Il eut un silence surpris. Je repris ma guitare que je calai contre mes cuisses. Darkie semblait fixer l’instrument, mais c’était difficile à dire avec son masque.
- Quoi ? grognai-je dans sa direction.
- Joue, se contenta-t-il de répondre.
Je me mis à gratter les cordes, presque inconsciemment.
Je ne sais pas ce que me veut ce gamin. Je l’ai ramassé dans la rue sans me poser de questions, mais, depuis, elles ont fait leur petit bonhomme de chemin. Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il attend quelque chose de moi. Et puis, que va-t-il se passer par la suite, s’il reste ? Je n’ai pas de quoi lui payer des études supérieures, j’ignore comment l’élever. Ça déjà été un miracle qu’on tienne ces quelques mois. Il a séché les cours, aujourd’hui, je n’ai même pas su quoi lui dire. J’étais contrarié, ça, c’est sûr, parce que ça fait de l’argent jeté par la fenêtre, mais je ne lui ai pas fait la morale. Il m’écoute pas, de toute manière. Pourquoi m’écouterait-il ? Je ne suis pas son père, après tout.
Être parent est le métier le plus fatigant du monde. C’est constamment être à l’écoute, constamment à l’affût. C’est se faire sans arrêt du souci, sans toutefois pouvoir parfois intervenir. C’est être un guide, même si c’est souvent douloureux, pour le parent comme le gamin.
Ouais, un beau métier, qu’on dit…
Je m’arrêtai dans mon mouvement, les notes vibraient dans les airs. Je suis père d’un garçon dont j’ignore même le visage, la belle affaire… Je lui jetai un regard en coin.
Combien de temps allons-nous rester comme ça ? Combien de temps avant qu’on se retrouve avec la police sur le dos ? Il n’a pas de papiers d’identité, s’il tombe malade, je ne pourrai rien dire aux médecins. Que ce soit sur ses antécédents médicaux ou son groupe sanguin.
Combien de temps avant que le rêve ne se brise ?
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