J’ai emménagé chez de drôles d’oiseaux. Avec le grand, Amedeo, on est allé jusqu’à l’endroit où j’ai eu mon accident. Aucune trace de mon fidèle cheval, ce qui m’a beaucoup peinée. Ce sale oiseau ne m’a beaucoup rassuré en ajoutant qu’il avait sûrement fini dans une boucherie. Je vous jure, dès que j’ai retrouvé ma mobilité, il sera ma première victime française, c’lui-là !
Mais, pour le moment, aucune trace de mon corps. Amedeo a fouillé tous les alentours dans un rayon très large, mais impossible de mettre la main dessus. Je ne sais même pas où il peut être en ce moment, j’ignore même s’il a sa propre mobilité ou s’il est simplement couché quelque part en attendant ma venue. Peut-être que quelque chirurgien fou au scalpel danseur est venu le découper pour en connaître le fonctionnement. Me faire dépecer vivante, berk, quelle horreur…
Cela fait des millénaires que je suis née. Je hante les nuits irlandaises sans faillir, ma vue peut donner au plus viril des hommes l’envie de se réfugier dans les jupes de sa mère. J’ai tué, implacable, immortelle, puissante. Et pourtant, aujourd’hui, face aux hommes et à leur monstrueuse technologie, me voilà plus démunie qu’une banshee aphone ! Et encore, elle, au moins, elle aurait encore sa laideur pour faire peur…
…
Râh, toute cette histoire me met les nerfs en pelote ! Je jetai un coup d’œil à l’écran où une créature était en train de démembrer une femme. Un travail vraiment dégueulasse au passage, il pourrait quand même avoir un peu plus de classe, ce tueur ! Aucune éducation, j’vous jure, pfff. De mon temps, au moins, on savait comment mener les festivités !
Le XXIème siècle est vraiment une drôle d’époque, coulée dans du goudron, nappée de pétrole, décorée de microprocesseurs et saupoudrée de billets de banque. Un gâteau bien indigeste, en somme. Tout semble être pris dans une toile… Une toile d’araignée qui aurait main mise sur tout en ce bas monde. Une toile conçue de liens extrêmement puissants. Quand j’étais encore active, cela existait déjà, mais ça s’est renforcé, avec les réseaux sociaux, notamment. Même la distance ne parvient plus à séparer les personnes. Elles communiquent au-delà de toutes frontières. Grâce à cela, tout est possible. C’est incroyable…
Ce siècle est étrange. C’est un bordel sans nom, très compliqué et très bien organisé. Mais pour se retrouver dans cet arbre aux branches innombrables, on a intérêt à être bien accroché, car j’ai l’impression que des mains tendues, ici, il y en a peu. Tout comme il n’y a aucune main pour moi, on dirait bien qu’il n’y en a pas pour mes drôles d’oiseaux…
Je tendis l’oreille vers le couloir, mais aucun bruit ne semblait en provenir. Je vis soudain apparaître Darkie dans l’encadrement de la porte. Il se laissa tomber à mes côtés et se mit à fixer le pathétique carnage qui se déroulait à la télé. Un silence gênant s’installa. J’ignorai pourquoi, mais le gamin semblait contrarié.
- Hé, t’as quoi ? demandai-je au bout d’un moment, agacée par son comportement apathique.
Il me saisit entre ses doigts et me cala contre son ventre, le visage toujours tourné vers l’écran. Puis il bascula soudainement sur le côté et s’allongea en me serrant contre lui. Hé, ho ! Depuis quand je suis un doudou, moi ?! Je suis une Dullahan, au nom de Morrigan ! Oh, Madame la déesse guerrière, excusez-moi d’être tombée si bas…
J’avais des cheveux dans les yeux, ils masquaient une partie de l’écran. Je tentais bien de me défaire de la prise de Darkie en gigotant, mais il me tenait fermement.
- Aylce… famille ?
Je m’arrêtai, étonnée. Ce gamin parlait peu, mais j’avais vite réussi à le comprendre. Il me semblait un peu… dérangé. Perdu. Comme si quelque chose lui échappait et l’effrayait.
- Non, je n’ai pas de famille, lui répondis-je. Et toi ?
Il me reposa sur la table basse, se leva et quitta rapidement le salon. OK, mauvaise question… Heu, mais… il va me laisser là ? Amedeo apparut alors à son tour, à croire qu’ils répètent une pièce de théâtre.
- Ah, bah je m’apprêtais à chanter pour que tu rappliques ! me réjouis-je. Tu tombes à pic !
- Je venais juste éteindre la télé, grogna-t-il.
- Tu peux me mettre dans le canapé ? le suppliai-je. Allez, s’il te plaît, s’il te plaît !
Il soupira, mais céda à ma requête. Une fois que je fus confortablement installée, je le remerciai et il s’en alla. Je me pelotonnai tranquillement, un sourire aux lèvres, avant de plonger dans un sommeil sans rêve.
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