J’hésitai un moment avant de reposer la veste sur son cintre. Il faisait beau, aujourd’hui, je n’allais pas m’encombrer de ce truc ! Dans la cuisine, Amedeo discutait avec Aylce. Apparemment, ils avaient décidé d’aller à la morgue aujourd’hui, pour voir si un corps décapité n’aurait pas été trouvé dans le coin. Je mis mon sac sur le dos dans un soupir. J’aurais préféré les accompagner, mais les profs avaient dit que si je continuais à sécher, ils finiraient par appeler Amedeo. Je n’avais pas envie que mon faux responsable légal ait des ennuis, alors je m’étais résigné à subir une journée mortellement ennuyeuse.
Je claquai la porte derrière moi sans un mot et descendis rapidement l’escalier pour arriver dans le hall. J’ignorai délibérément le regard en coin du concierge. Il me suivait tout le temps du regard, à croire que j’étais une bête de foire. Je sortis de l’immeuble et fus submergé par une vague de chaleur. Je suais sous mon masque.
Je me dirigeai vers mon arrêt de bus sans vraiment prêter attention à ce qui m’entourait. J’aurais bien aimé avoir un portable pour pouvoir m’occuper, me donner un semblant de vie sociale. Peut-être aurais-je rencontré des gens sur Internet, sur des sortes de forum pour types mal dans leur peau. On aurait échangé des banalités, des photos, des sites. Peut-être même qu’on aurait été amis…
Mais je n’avais pas jamais osé en demander un à Amedeo. Faut dire que ça coûte plutôt cher un abonnement…
Je m’assis sur le banc, mon sac sur mes genoux. Je suis parti tôt ce matin, l’arrêt est encore désert. Y’avait juste une fille, un peu plus loin, qui semblait envoyer des SMS. Elle chantonnait, ses écouteurs vissés sur ses oreilles. Je me demandai vaguement ce qu’elle écoutait… Je continuai de fixer un point dans le vide, face à moi ; l’attente reprit.
Les élèves commençaient à affluer. Le brouhaha s’élevait. Depuis que je m’étais enfui de chez ma mère, j’avais toujours observé le monde depuis un point de vue de spectateur. Je subissais, j’observais, retranché derrière mon masque, comme un metteur en scène dissimulé derrière un rideau. Mais le monde ne se laisse pas si facilement gérer par un enfant, encore moins par un monstre. Mes acteurs sont sourds à mes ordres, sourds à mes attentes. Ils agissent en contradiction à toutes mes intentions scéniques.
Comme des personnages qui auraient acquis leur propre volonté.
- Non, mais regardez qui va là !
- Ah, c’est toi… Qu’est-ce que tu veux, encore ?
Je posai mes yeux sur un gars appelé Henri. Je l’avais déjà croisé à plusieurs reprises. Il prenait le même bus que moi pour se rendre au lycée. Il parlait avec un autre gars, semblant se moquer de lui. L’autre était grand de deux mètres, avec des cheveux noirs plutôt longs. Il semblait n’en avoir rien à carrer du bavardage d’Henri. Ce dernier se rendit soudain compte que je le fixai. Il se désintéressa de sa proie et s’avança rapidement vers moi. Je me levai rapidement dans le but de m’éloigner, mais il m’avait déjà épinglé. Il me saisit par le col et me souleva de terre avec une facilité rageante. Je me figeai, tous muscles tendus. Visiblement, il n’avait toujours pas digéré le fait que j’avais refusé de lui remettre mon argent de poche, la dernière fois…
- Mais c’est le petit bâtard de service. Toujours planqué, toi ? Allez, montre-nous ce qui se cache derrière ce masque.
Non, non, non, non, non… Tout sauf ça ! Je me mis à me débattre, mais il me tenait fermement. Il me jeta contre la paroi de l’abri bus en ricanant. Je plaquai mes deux mains contre mon masque pour le retenir, mais il l’avait attrapé et commençait à le tirer. Ne fais pas ça ! Putain, arrête ! Arrête ! Je ne veux pas ! Henri riait maintenant, il tordait ma protection, infiltrait ses ongles entre mon visage et la paroi de plastique. Je sentis les larmes me monter aux yeux. Ne me regardez pas ! Ne regardez pas mon visage !
Un craquement sec, le masque se fendit. Je poussai un cri étranglé, tentant de me cacher derrière mes mains. A travers mes doigts, je vis Henri approcher les siens… Puis il voltigea. Il fut brutalement éjecté dans les airs. La grande perche à qui il parlait tout à l’heure l’avait saisi par le col et l’avait envoyé valser d’une seule main. Sans demander mon reste, je ramassai les débris de mon masque et m’enfuyais en courant.
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