Ce qu’il y a de super quand on vit tel un roi solitaire, c’est le silence environnant. Rien ni personne ne peut atteindre mes oreilles. Je suis comme hors de portée de toute votre haine et votre jalousie, comme perdu dans l’infini de l’espace. Ah, oui… J’abats le voile de mes paupières sur mes yeux fatigués et un sourire vient étirer mes lèvres gercées par le froid. Il est vrai qu’il fait froid, dans l’espace…
Où vivrais-je ? Sûrement dans une petite maisonnée rondouillette. Les murs seraient percés de quelques fenêtres pour que je puisse constamment admirer les étoiles scintillantes dans le lointain. Il faudrait tout de même que je me construise une boîte à lettres. En forme de lune, tiens ! Une lune pleine et grasse ! Etre seul ne veut pas dire couper tout lien, tout contact. Non, il faut que j’ai une boîte à lettres, tout de même. Je me demande si la poste accepterait de m’envoyer mon courrier tout là-haut, dans les cieux… ? Les lettres de maman, les cartes postales de tata, les colis bourrés de trucs à n’en plus finir du grand frère toujours inquiet…
Bah, comme j’ai de bonnes raisons de m’isoler, peut-être qu’ils accepteront.
Le problème, c’est que j’ai envie de tout construire de mes propres mains, mais je ne possède pas le savoir nécessaire. Peut-être qu’il y aura déjà des maisons en vente, dans l’espace… Mais il faut qu’elle corresponde vraiment à mes exigences, sinon je ne pourrai pas trouver le repos auquel j’aspire tant ! Il faudrait qu’elle possède une cave, aussi, histoire que je puisse y stocker beaucoup de nourriture ! Ce n’est pas tout ça, mais, l’espace, c’est quand même lointain, je ne peux pas me permettre de faire souvent des allers retours pour toutes les courses. A moins qu’entre temps, ils ouvrent un supermarché de la voie lactée… Ce serait quand même bien pratique !
Et comment faire venir l’eau courante ? Parce que, ce n’est pas tout ça, mais, autant je peux me passer d’électricité, mais pas d’eau. Si les murs sont correctement isolés et que j’ai une grande cheminée, cela devrait le faire. Mais j’ai besoin d’eau, ça, c’est indéniable. Je ne pourrais pas avoir l’esprit tranquille si je savais que je ne pouvais pas me faire couler un bain quand l’envie m’en prendrait.
De quelles couleurs devrais-je peindre ma façade ? J’aime toutes les couleurs de l’univers, mais j’avoue avoir une sérieuse faiblesse pour l’orange pétant. Mais ce n’est pas la couleur idéale pour se reposer. De plus, il ne faut pas que ma maison dénote trop non plus, je n’ai pas envie de devenir la cible de pirates intergalactiques ! Il faudrait une couleur neutre, peut-être, comme du blanc, mais cela risque d’être un peu triste. Peut-être devrais-je en mettre plusieurs… Du blanc et une teinte plus calme, plus apaisante. Du bleu, peut-être. Oh, oui, c’est cela, du bleu !
Par contre, je risque d’avoir le blues de la planète si je n’emporte rien avec moi qui me rappelle la terre. Il faut quand même que j’ai sous les yeux quelques petites choses qui renvoient à ma patrie d’origine. L’idée du bleu me séduit d’autant plus, il faudra que j’en choisisse un qui se rapproche de la teinte du ciel. Ou peut-être de celle des océans. Après, après… Ah, pourquoi ne pas prendre du bois avec moi ! Ça m’évoquera les arbres, les forêts, les parcs, la nature, quoi ! Hum, ça me paraît être un bon choix, oui, oui. Pour la porte, ce serait l’idéal. Une petite barrière ne serait pas mal non plus. Comme dans les fermes des jouets d’enfant. Pour compléter le tout, je pense qu’il faudrait un toit en paille. J’ai toujours voulu un toit en paille. Je trouve ça chouette.
J’espère que tout ça survivra au voyage. Comme il fait froid dans l’espace, ça ne va pas se dégrader ? Ah, mais non, ça va se congeler, suis-je bête ! Les choses gelées se gardent très, très longtemps, je l’ai vu dans le congélateur. Ça me rappelle un souvenir. Une fois, on a retrouvé un très vieux plat dans le congélateur, avec maman. Un plat de papa, un plat qu’il nous avait fait avant sa mort. Ça nous a fait vraiment plaisir de le retrouver et, quand on l’a réchauffé, on a retrouvé les textures d’autrefois. Les cheveux de maman avaient plus d’éclat, son rire n’était pas étouffé sous un sanglot, ses yeux pétillaient. Même la table en fer forgé de la salle à manger avait tout à coup retrouvé sa chaleur.
Un bon souvenir…
Je bouge mon bras engourdi. J’ai un peu de mal à me repérer. Mes yeux fouillent les alentours et mes oreilles bourdonnent. Il y a trop de bruit, ici, beaucoup trop. C’est fatigant les grandes villes, franchement, quelle idée on a eu de s’installer ici. Si ce n’avait pas été pour le travail de maman, on ne l’aurait pas fait. On était bien dans notre maison en montagne, tranquillement perchés à des milles. J’ai hâte de repartir. D’aller jusqu’au sommet de la plus haute montagne de la terre pour m’envoler. Peut-être que j’utiliserai le même moyen de locomotion que le Petit Prince. Je m’accrocherai à des oiseaux et je décollerai vers l’immense étendue des infinis murmures du ciel. Je suis sûr que c’est faisable. Lui, il l’a bien réalisé, pourquoi je ne pourrais pas y arriver, après tout !
J’ai froid… Mes paupières sont lourdes, j’ai envie de les refermer. J’entends maman m’appeler, je n’ai pas envie de répondre. Prenant une profonde inspiration, je laisse mes mains courir sur le gazon où je suis allongé. Mes doigts perçoivent les brins d’herbes encore humidifiés par l’haleine de l’aube, l’humus, les trèfles qui se dissimulent habilement… Un sourire naît sur mes lèvres.
C’est agréable, la terre… C’est riche, c’est accueillant. On s’y sent bien, malgré tout ce qu’on en dit, malgré tout ce qu’on lui fait subir. Peut-être devrais-je y rester un peu plus longtemps…
Comments (0)
See all