Ses yeux fouillèrent les alentours. Pas de soldats en vue… La princesse aurait-elle donc fait le mur ? Qu’elle ait réussi à passer les vigies l’impressionnait assez. Peut-être que la jeune fille était plus maligne qu’il ne pensait, après tout. Mais pourquoi réussir l’exploit de s’échapper de sa splendide cage pour venir au bord de la rivière où… ? Oh…
Au bord de la rivière où son jumeau avait péri.
La princesse demeurait silencieuse, le corps légèrement vacillant. Son regard était perdu dans le vide, absorbé par un temps doré d’autrefois inatteignable. Le jeune homme, lui, se leva et ramassa le sac de provisions. Il s’apprêtait à partir quand la jeune fille émit un gémissement. Elle porta le dos de sa main à son front, les yeux écarquillés.
- Qu’est-ce que… ? murmura-t-elle.
- Hé bien, princesse, tu es blanche comme un fantôme. Tu vas quand même pas me faire un malaise ?
- Je ne te permets pas ! cria Eliya en se redressant brusquement.
S’être levée d’un coup sembla lui jouer un tour. Prise d’un accès de vertige, elle se mit à tituber. Son dos rencontra un tronc contre lequel elle s’affaissa, les yeux écarquillés, visiblement au bord de la nausée. Liam lui coula un regard moqueur.
- Oh ? La princesse aurait-elle des difficultés ?
- N… Non, balbutia la jeune fille. Tout… va bien…
Elle se détacha de l’arbre pour tenter de faire quelques pas sans soutien. Mais ses jambes se dérobèrent sous son poids et elle chuta en avant dans l’herbe. Le jeune homme leva les yeux au ciel et s’accroupit près d’elle, lui tendant négligemment une main.
- Allez, lève-toi, je vais t’aider à rentrer en ville. Les gardes te prendront en charge après cela.
Eliya serra les dents, furieuse contre elle-même, contre sa propre faiblesse et surtout contre ce sujet d’une insolence absolument intolérable envers elle. Elle repoussa d’un revers de bras l’aide de Liam et fit glisser ses jambes sous elle-même pour tenter de se mettre debout. Elle sentit son cœur battre fort dans sa poitrine et, à travers le bourdonnement de son sang dans les oreilles, elle ne percevait que faiblement la voix de Liam. La vue troublée, la princesse essaya de nouveau de marcher seule. Le jeune homme leva les yeux au ciel, agacé par l’attitude de la malade.
- Bon sang, que t’es têtue, lâcha-t-il. Je vois que c’est un trait de caractère propre à cette famille.
Eliya sentit qu’on saisissait un de ses bras pour le placer autour de solides épaules. Elle fut surprise par la phrase du garçon. Pourquoi… disait-il ça ? Mais avant qu’elle n’ait pu l’interroger sur la signification de ses mots, son esprit avait rejoint les ténèbres.
***
Madaima soupira, mains sur les hanches, contemplant son plan de travail vide. Bon, elle voulait bien que Liam prenne son temps, mais pas à ce point tout de même ! Si cela continuait, ils devraient se priver de repas, ce soir.
- Racent ! appela-t-elle en se penchant par une fenêtre. Tu ne voudrais pas aller chercher ton corniaud de fils, par hasard ?
Son mari abattit la hache sur son morceau de bois. Dans un geste à habitude parfaitement huilée, Phil récupéra les deux parties avant de placer une nouvelle bûche sur le billot. Racent se redressa, essuyant la sueur de son front avec son poignet.
- Oui, je pense qu’il a suffisamment traîné comme ça, je vais aller voir si…
- Liam ! s’exclama brusquement Phil.
Il dévala la pente douce au sommet de laquelle se dressait leur maisonnée. Il faillit sauter sur son frère quand il se rendit compte qu’il tenait sur son dos une forme aux longs cheveux. Intrigué, il ralentit sa course et laissa son aîné arriver à sa hauteur. Ses yeux s’écarquillèrent quand il se rendit compte qui Liam tenait ainsi.
- Mais c’est une fille !
- Bouge, Phil, grogna son aîné. C’est qu’elle est lourde, la princesse.
Racent écarquilla les yeux à cette phrase. Il se tourna vers sa femme qui s’était figée à cette phrase, le regard particulièrement sombre. Liam, lui, ignora ses yeux accusateurs et passa le seuil de la maison tranquillement. Doucement, il fit glisser la jeune fille évanouie de son dos et la déposa dans le lit qu’il partageait avec Phil. Ce dernier, tout content, s’agenouilla près d’elle et caressa ses cheveux.
- Tout soyeux ! clama-t-il.
- Liam, qu’est-ce que cela signifie ? le questionna son père. Qu’est-ce qu’elle fait ici ?
- ‘S’est évanouie près de la rivière, soupira l’intéressé. Les portes de la ville sont fermées à cette heure-là, alors je l’ai amenée ici en attendant.
- Je croyais pourtant t’avoir appris que nul membre de la famille royale n’avait le droit de franchir le seuil de ma demeure, articula froidement Madaima.
Son fils leva les yeux au ciel.
- J’allais pas la laisser crever sur place, quand même. C’est l’héritière du royaume et la future femme du fils unique de l’empereur de Lavia. Elle est un peu importante, tu vois ?
De violentes plaques rougissaient dorénavant les joues maternelles.
- Comment peux-tu… ! siffla-t-elle.
- Madaima, l’interrompit doucement son mari. Si ce n’est que pour ce soir, tu ne veux pas faire juste cet effort ? Promis, elle ne reviendra plus ici après. Juste pour ce soir… D’accord ? Ce n’est qu’une enfant…
L’intéressée allait protester quand elle croisa le regard suppliant de son benjamin. Un sentiment de trahison l’étreignit avec violence. En réalité, on ne lui laissait pas le choix… Elle finit par hocher la tête pour donner son accord.
- Par contre, Liam, je refuse de m’en occuper, alors tu… ! Mais où est-il encore passé ?
- Liam est parti, indiqua Phil en désignant la porte.
- Alors lui…
Son regard glissa sur la princesse qui s’était recroquevillée sur elle-même, le visage tordu dans une grimace douloureuse. Son visage était couvert de sueur ! Ses habits devaient être trempés.
- Il va falloir la changer… Allez voir ailleurs si j’y suis, les hommes ! ordonna-t-elle avec force. Allez, ouste !
Maidama soupira avant de s’atteler à sa tâche. Elle commença par dénouer la ceinture qui retenait le haut de la jeune fille. Elle s’apprêtait à faire glisser le vêtement quand elle se figea.
- Nom de Dieu, murmura-t-elle. Serait-il possible… ?
Elle observa un moment Eliya, d’un regard empreint de tristesse.
- Pauvre enfant…
Elle remit le tissu en place. Son regard engourdi parcourut la pièce sans la voir. Elle ne comprenait pas… Ou plutôt commençait lentement à assembler les pièces de l’hideux puzzle.
***
Le lendemain matin, quand Eliya revint enfin à elle, elle observa ce qui l’entourait avec stupéfaction.
- Où suis-je ? murmura-t-elle. Je ne connais pas cet endroit…
- Oh, princesse ! Z’êtes réveillée !
Eliya baissa la tête vers un petit garçon aux yeux pétillants de vivacité. Il lui offrit un immense sourire où il manquait trois dents.
- Maman ! brailla-t-il. Maman, la princesse est réveillée !
- Je m’étais endormie ? s’étonna Eliya.
- Évanouie, votre Majesté.
La jeune fille leva la tête vers une femme à l’imposante corpulence. Ses cheveux étaient si serrés par un fichu qu’ils lui tiraient la peau du visage.
- Vous avez fait un malaise, hier, sourit-elle gentiment. Liam vous a trouvée près de la rivière. Je vous ai administré quelques plantes. Vous allez mieux ?
- O… Oui ! Merci d’avoir pris soin de moi, madame !
Instinctivement, elle plaça une main sur sa poitrine. Elle ne l’avait pas vu, n’est-ce pas ? Sa bienfaitrice ne semblait pas l’avoir changée… Il ne devait pas y avoir de souci, alors. Le secret était conservé. Eliya eut un sourire soulagé.
Le royaume n’était pas en danger.
Comments (0)
See all