- Liam Sefa, pour racheter tes crimes, je te propose une autre alternative que la pendaison, annonça cette dernière.
- Tiens donc ? ironisa Liam qui n’en menait pas large. Et qu’elle est-elle ? Vous voulez Phil à ma place ? Tenez, prenez-le, il est juste là.
- Liam ! le gronda Amy, telle une maman en colère.
- Personne ne mourra, Liam, soupira Eliya. Par contre, toi, tu vas m’accompagner.
- … Pardon ?
- Liam Sefa, je t’ai choisi pour devenir mon maître d’arme personnel !
- … Pardon ?
***
- Liam !
Madaima se précipita sur son aîné pour le serrer dans ses bras. Son fils ne protesta pas, sachant qu’elle avait dû être terrifiée en apprenant sa mise à mort. Quand elle le laissa de nouveau respirer, elle lui sourit à travers ses larmes. Quand elle avait vu les soldats revenir chez elle, elle avait cru qu’ils lui ramenaient le corps sans vie de son fils. Quel avait été son soulagement quand c’était Liam qui avait passé le seuil de leur maison, debout sur ses deux jambes.
- Je suis si heureuse… Ne me fais plus jamais un coup pareil !
- C’est pas ma faute ! répliqua son fils.
Madaima remarqua alors que Liam n’était pas seul. Derrière lui se tenait Eliya, accompagnée d’un Riya furieux. La princesse salua respectueusement la maîtresse de maison qui ne répondit pas, sourcils froncés.
- Que voulez-vous ? attaqua la fille de Sigène en forçant Liam à reculer.
- Maman, arrête, soupira celui-ci. Ils souhaitent juste te parler.
- Quoi ?
- Je tiens à vous expliquer ce qui se passe, intervint doucement Eliya. Permettriez-vous que nous nous asseyons ?
Madaima acquiesça, trop surprise pour émettre un son. Tous s’attablèrent dans un silence de plomb. Finalement, Eliya prit la parole.
- Madame Sefa, votre fils a commis de nombreux crimes et violé des lois qui sont indispensables au bon fonctionnement de ce royaume. Pour ces raisons, il a été condamné à la pendaison. Néanmoins, j’ai une proposition à lui faire.
La fille de Sigène coula un regard inquiet à son aîné qui s’était installé à ses côtés, bras croisés. Houlà, il avait enfilé le masque de la tête de mule… Que diable pouvait-il bien se passer ? Elle reporta son attention sur la princesse.
- De quelle proposition voulez-vous parler, votre Majesté ? lui demanda-t-elle du bout des lèvres.
- Je veux engager Liam au château où il me servira en tant que maître d’arme et ce, jusqu’à mon mariage, lui exposa son interlocutrice. S’il tient ses engagements, il sera récompensé et je m’assurerai qu’il obtienne une place dans l’armée d’Asrestos.
Madaima jeta un nouveau regard furtif à son fils. Le laisser partir, le laisser aller dans ce palais ? Elle ne pourrait jamais l’accepter ! Pourtant… Malgré toute sa haine, elle préférait le savoir là-bas que dans une boîte à macchabées. Si le jeter entre les bras de ces personnes lui permettait de conserver sa vie, elle n’avait pas réellement le choix…
- Je vois, si tel est le cas, j’accepte, décida-t-elle.
- Là est tout le problème, lui apprit Eliya.
- Comment cela ?
- Votre fils a refusé.
Les yeux de Madaima s’agrandirent comme des soucoupes. Connaissant son aîné, cela ne l’étonnait pas vraiment, à vrai dire, mais…
- Imbécile ! éructa-t-elle en lui flanquant une solide tape à l’arrière du crâne, ce qui ne manqua pas de faire sursauter la princesse. Ta vie est en jeu, accepte sans faire d’histoire.
- Ça ne m’intéresse pas, répliqua son aîné.
- Phil t’a vu te faire pendre aujourd’hui ! Et tu voudrais qu’il voie ça une seconde fois !
Liam serra les dents. Non, bien sûr qu’il ne voulait pas infliger ce triste spectacle une nouvelle fois à son petit frère, mais… Aller au château ? C’était une blague ? Il n’y était pas retourné depuis la mort d’Ezra… Il poussa un soupir et jeta un regard en coin à Eliya, en train de triturer la tasse que lui avait servi un Phil tout joyeux de la revoir.
- Pourquoi m’avoir sauvé ? attaqua-t-il. Tu ne connais rien de mes talents pour les combats à l’arme blanche, princesse. Me faire croire que tu as épargné ma vie pour faire de moi ton maître d’arme, excuse-moi, mais je n’y crois pas.
La princesse sursauta. Riya allait reprendre son cousin pour son impertinence, mais la jeune fille lui fit signe de se taire.
- En toute honnêteté ? Je ne t’ai pas sauvé pour tes talents à l’épée, même si on me les a dit bons. Je t’ai sauvé parce que j’ai besoin de quelqu’un comme toi à mes côtés. Je ne veux pas d’autre professeur.
- Je vois que ma beauté a encore frappé, soupira théâtralement le garçon.
Eliya leva les yeux au ciel, amusée malgré elle. Elle ne s’attendait pas à devoir négocier avec Liam. Mais celui-ci ne semblait pas prêt de céder. Elle trouvait son refus étrange. Après tout, n’était-ce pas pour lui une chance inestimable ? Elle sauvait sa vie, lui offrait la possibilité d’une existence meilleure ! Qu’est-ce qui le gênait ?
- Tu as toujours été borné, mais là, c’est le pompon, soupira Madaima. Je pense connaître les raisons pour laquelle tu refuses ça, et je vais déjà t’en débarrasser d’une : j’accepte que tu ailles là-bas. Je préfère encore te confier à la princesse qu’au croque-mort.
Liam se renfrogna. Sa mère le connaissait trop bien…
- En deuxième lieu, poursuivit l’opulente femme, ce n’est pas un mal d’obtenir quelque chose que tu n’as pas bâti de tes propres mains. Oui, ça va contre tes principes. Je me moque de cela, je me moque de ta fierté, je suis claire ?
Le garçon grimaça. Bon, autant arrêter les frais avant que sa mère n’émette la troisième raison.
- Bon, d’accord, céda-t-il, mais j’ai quelques conditions.
- Tu crois vraiment être en position de négocier ! s’emporta Riya en claquant son poing contre la table. Tu as obtenu la grâce royale, alors cesse de faire le difficile !
- Attends, Riya, je suis curieuse, le calma Eliya avec un doux sourire. Quelles conditions, Liam ?
- Hum, tout d’abord… Je veux un baiser, ricana l’intéressé.
Là, le visage tout entier d’Eliya vira au coquelicot, ce qui fit beaucoup rire le petit Phil. Liam éclata de rire à son tour.
- Je t’ai eue, minauda-t-il. Tu es si facile à embêter, princesse !
- Sois… Sois un petit peu sé… sérieux ! bégaya la princesse, mal à l’aise désormais. Dis-moi ce que tu voudrais et je te l’accorderai… dans la mesure du raisonnable.
Liam sembla réfléchir un instant puis se pencha en avant.
- Les forges royales. En utilisation exclusive.
- Tu plaisantes ! s’étrangla Eliya. Impossible ! On a besoin de ces forges !
- Alors c’est mort.
- Et je te les laisse deux heures par semaine ? En dehors des plages horaires de travail de nos artisans, bien sûr.
- Ça devient intéressant.
- Mais qu’est-ce que tu veux de plus !
- Un appartement contigu aux tiens.
Eliya rougit de plus belle. Elle s’attendait à ce que Liam éclate de rire en disant qu’il plaisantait, mais il n’en fit rien.
- Se… Serais-tu sérieux ? bredouilla la princesse.
- Bien sûr.
- Liam ! protesta Riya. La princesse a déjà énormément fait pour toi alors cesse de l’insulter ! Cette grâce peut t’être retirée à tout moment, je ne pense pas que tu as conscience de ta position !
- Si elle n’accepte pas mes conditions, c’est son problème, rétorqua l’intéressé.
- J’accepte !
Liam faillit s’étrangler. Il observa un moment la princesse aux pommettes rougies par la gêne, mais qui le regardait droit dans les yeux. Elle se leva.
- Nous te laissons faire tes adieux. Demain matin, nous viendrons te chercher. Tâche d’être prêt en temps et en heure.
Sans attendre sa réaction, elle quitta la maisonnée des Sefa. Très vite, Riya la rejoignit, l’air très contrarié.
- Mais, quelle folie vous a traversée ? Liam n’est pas apprivoisable ! Il pourrait débarquer à tout moment dans votre appartement et découvrir le secret de notre royaume ! A la base, nous avions convenu d’une heure d’entraînement par semaine, vous allez beaucoup trop loin !
- Je serai prudente, répliqua Eliya d’une voix sombre.
- Amy Beutta est une « amie » à lui. S’il lui en parle, le lendemain, tout le royaume en parle ! Cette fille est une véritable colporteuse !
- Une amie ? murmura la princesse. Je ne savais pas que Liam en avait.
- En tout cas, elle est la seule qui se rapproche le plus du terme.
- Cela serait amusant… de devenir l’amie de Liam.
Riya ne pouvait en entendre d’avantage. Il saisit le poignet de l’héritière pour l’obliger à le regarder droit dans les yeux.
- Vous êtes la future impératrice de Lavia ! lui rappela le soldat blond en sifflant tout en se penchant dangereusement sur elle. N’oubliez pas le rôle qu’est le vôtre. J’avais accepté de marcher dans votre plan parce que vous sembliez intéressée par la maîtrise des armes. Mais n’essayez pas de devenir l’amie de mon cousin.
- Pourquoi donc ?
- Cela vous détournerait de vos obligations !
La princesse se détourna de lui, le regard sombre.
- Je le sais parfaitement, répondit-elle d’un ton qui se voulait tranquille. Mais ça ira… je connais ma place.
***
- Un… maître d’arme ?
Un silence consterné parcourut l’assemblée des ministres. Riya les avait rassemblés en urgence à son retour du palais. Maintenant qu’ils étaient mis au pied du mur, ils n’avaient d’autre choix que d’accepter la décision de la princesse. Cette dernière n’avait jamais pris de telles initiatives, c’était pourquoi tous hésitaient sur la conduite à tenir.
- Riya, savez-vous ce qui a motivé le geste de la princesse ? questionna l’un des ministres.
Le chef de la garde poussa un soupir. Ses doigts coururent sur le casque rouge dont il s’était délesté en s’asseyant. Eliya l’avait supplié de plaider sa cause auprès des ministres. Elle savait parfaitement que, sans leur accord, Liam ne pourrait même pas passer les portes du palais. En soit, cela l’arrangerait. Son cousin était une gêne qui pourrait entraver la bonne démarche de leur mission. Cependant, il pourrait aussi se révéler très utile.
Après tout, la princesse avait toujours manifesté un intérêt pour les armes et l’escrime. Cependant, son père avait toujours refusé qu’on lui enseigne le maniement de l’épée, jugeant qu’une jeune fille ne devrait pas s’adonner à une telle activité, qu’il jugeait trop masculine. Une décision que les ministres lui avaient maintes fois reprochée. Néanmoins, le roi Tobias n’était plus là aujourd’hui…
- Je pense que la princesse agit pour le bien de tous, déclara lentement Riya en rivant son regard sur les ministres. Malheureusement, son père lui avait interdit de toucher à quelque arme, si bien qu’elle n’a pas pu agir plus tôt. Néanmoins, il reste du temps avant le mariage, assez pour qu’elle intègre les bases de l’escrime et sache manier correctement un poignard. Son maître d’arme possède un style… particulier, ce qui l’aidera plus tard lorsqu’elle devra passer à l’acte.
- Elle aurait du nous faire part de sa requête, persifla un ministre. C’était à nous de choisir son maître d’arme.
- D’ailleurs, quel est le nom de l’enseignant en question ? demanda un autre.
« Nous y voilà », songea Riya, les épaules raides. Il caressa distraitement son casque. La véritable bataille allait commencer maintenant… Il se redressa, tâcha de relâcher les muscles de son dos, comme lorsqu’il se préparait à un duel.
Puis il prit la parole :
- Il s’agit de mon cousin, Liam Sefa.
***
Au petit matin, Eliya, Riya et quelques cavaliers se rendirent à la maisonnée des Sefa. Intérieurement, la princesse était en proie aux doutes, mais elle tâchait de les faire taire. Avait-elle pris la bonne décision ? Riya venait de batailler des heures durant pour que Liam soit accepté au sein du palais royal. Les ministres avaient fini par ployer, ils avaient accepté sa décision, ils avaient donné leur aval. Selon eux, son « caprice » pourrait se révéler utile. La jeune fille avait du mal à y croire…
Pour la première fois depuis bien des années, elle avait réussi à imposer un choix qui lui était propre à son entourage. Depuis quand n’avait-elle pas faire entendre sa voix ainsi ? Sûrement depuis la mort de son frère, nappé de vase au fond de cette rivière gourmande qui l’avait emporté.
- Attendez ici, princesse.
Ils venaient de parvenir à la maison des Sefa. Riya mit pied à terre et alla frapper à la porte. Ce fut Madaima qui vint lui ouvrir. Ils échangèrent quelques mots, puis la fille de Sigène referma la porte. Le chef de la garde revint auprès de la princesse et lui indiqua que le jeune homme n’allait pas tarder à la rejoindre. Il se remit en selle.
Ils attendirent ensuite dans le silence le plus complet. Au bout de quelques minutes, Liam émergea de la maisonnée, Phil accroché à la jambe. Son petit frère refusait de le lâcher, de peur que son grand frère meure une nouvelle fois. Madaima avait beau lui expliquer que son aîné partait juste un temps, il refusait d’entendre raison.
- Phil, ça suffit, finit par s’emporter Liam, je ne pars pas loin, bon sang !
- C’est ce que tu m’avais dit aussi la dernière fois ! répliqua l’enfant d’un ton mauvais. Et t’as disparu pendant trois jours avant de revenir tout plein de sang ! Tout plein de sang ! Et là, tu t’en vas, encore !
Liam leva les yeux au ciel. Nom d’une goule, qu’il était collant ! Il l’attrapa son jeune frère par le col et le souleva de terre aussi facilement que s’il avait porté un morceau de bois.
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