- Alors ?
- …
- Princesse, tu baisses dans mon estime.
- A… Attends ! Je te jure que j’ai appris ma leçon ! Cela va me revenir…
- Je ne comprends même pas pourquoi tu as besoin de réfléchir pour une chose aussi simple !
- Je l’ai sur le bout de la langue. Ne me dis rien surtout !
- C’est un ninjato.
- Liam !
- Rhô, princesse, tu ne vas pas me dire que tu n’avais pas encore compris que j’aime tout particulièrement être contrariant !
Eliya reposa l’arme sur l’établi, l’air faussement contrariée. Sans s’y laisser prendre, son professeur parcourut d’un pas rapide l’armurerie. Il désigna une nouvelle lame à son élève.
- Qu’est-ce que celle-là alors ? Tu peux me donner son nom, sa taille exacte, son type de garde, quel est son tranchant et si elle possède ou non un ricasso ?
- …
- Princesse, tu as vraiment fait tes devoirs comme je te l’ai demandé ?
Eliya détourna le regard. Liam haussa un sourcil et s’approcha rapidement d’elle.
- On dirait que je vais devoir te punir alors…
- Oh, maître…
Liam ouvrit les yeux. Hébété, il fixa un moment la fausse ouverture en vitrail au-dessus de son lit. Ses sourcils se froncèrent alors qu’il tentait de rassembler les bribes éparses de son rêve.
- Attends, j’ai vraiment mis ma langue là ?
***
- Vous vouliez me rencontrer, Riya ?
Un serviteur s’empressa de tirer un siège pour le nouvel arrivant. Le chef de la garde, attablé seul à l’ombre d’un arbre, reposa la tasse de thé qu’il avait en main. Il offrit un sourire à Glassy alors que celui-ci s’installait en face de lui.
- Je suis honoré que vous preniez le temps de répondre à ma requête, messire, lui déclara-t-il. Je vous sais fort occupé.
- Trêve de bavardage, le coupa le ministre d’un ton sec. Comme vous le dîtes vous-même, je suis un homme très occupé. Alors venez-en aux faits. Tout de suite.
Riya parvint à garder son sourire. Ah, que la hiérarchie l’insupportait. C’était ce sentiment d’infériorité brûlant qui avait fait naître dans son esprit une ambition dévorante. Sa famille avait été destituée de tous ses titres à cause de Sigène. Mais Riya ne mourrait pas humilié, il en était hors de question. Et si pour cela, il devait plonger une épée empoisonnée dans le corps agonisant du spectre familial… Alors soit.
Il n’était plus à ça près.
- J’aurais aimé vous faire une suggestion, messire. Je me sais fort mal placé pour oser parler ainsi, mais…
- Hé bien, quoi ? s’impatienta Glassy.
- Je pense qu’il nous manque toujours un bouc émissaire, non ? Quelqu’un sur qui jeter la faute du meurtre du futur mari de notre princesse bien aimée.
Une lueur de colère passa dans le regard de son interlocuteur. Avant qu’il ne perdre définitivement patience, Riya reprit la parole.
- Alors, j’ai une suggestion à vous faire.
- … Comment cela ? A qui pensez-vous ?
Riya retint un rire de triomphe. Que les puissants étaient simples à manipuler ! Qui ? Il lui demandait vraiment ? Il pensait que Glassy aurait été plus vif que cela. Aujourd’hui, pourtant, n’avaient-ils pas sous la main le meilleur des prétextes ?
- Liam.
***
- T’as pris du poids, non ?
Eliya reposa sa tasse de thé bruyamment, l’œil noir. Depuis deux semaines, les deux amis, puisqu’ils en étaient venus à se considérer presque ainsi, avaient pris l’habitude de prendre leur petit-déjeuner ensemble. En général, cela se passait correctement. En tout cas, ça se déroulait sans incident depuis qu’on avait interdit le port d’armes blanches dans la salle à manger.
Mais certaines phrases restaient à éviter pour qu’un repas soit paisible… et agréable.
- Non, je n’ai pas pris de poids, marmonna Eliya.
- C’est pour ça que tu fais un régime ?
- Mais je te dis que je n’ai pas pris de poids !
Liam considéra d’un air suspicieux l’assiette de la jeune fille où se battaient en duel un malheureux œuf dur et un demi pamplemousse. Il se leva, fit le tour de la table et piocha dans divers paniers qui garnissaient leur large table. Quand il n’eut plus assez de place dans ses mains, il déchargea son butin devant la princesse et retourna tranquillement s’asseoir.
- C’est toi le fan de sucreries, pas moi, fit-elle remarquer.
- T’as besoin de prendre du poids, répliqua l’intéressé en croquant dans un croissant.
- Tu viens de me dire le contraire !
- Non, j’ai dit que tu avais pris du poids, rectifia le bretteur. Pour une fois que je ne te fais pas une remarque désagréable, tu pourrais avoir la gentillesse de ne pas m’envoyer bouler. Ce n’est pas en étant maigre comme un chien mouillé que tu vas faire lever l’héritier de l’empereur.
Eliya, qui avait repris sa tasse en main, la reposa encore plus violemment que la première fois, les yeux écarquillés.
- Liam ! protesta-t-elle.
- J’ai raison, c’est tout. Les hommes aiment bien avoir quelque chose à se mettre sous la dent. C’est normal.
- Et si on s’arrêtait là, je pense que cela serait préférable, n’es-tu pas d’accord ?
- Jamais quand on me demande mon avis.
- Liam…
L’intéressé leva ses mains en l’air pour signaler qu’il acceptait de se taire. Ils se remirent à manger en silence, Eliya ne pouvant décemment pas résister aux douceurs qui semblaient la narguer juste sous son nez. Alors que leur repas s’achevait, la porte de la salle s’ouvrit brusquement sur un Riya dont les cheveux blonds n’étaient qu’à moitié tressés. A cette vue, Liam poussa un soupir.
- Combien que c’est encore pour ma pomme ? ricana-t-il à voix basse.
- Princesse !
- Raté, chantonna Eliya sans lui accorder un regard. Qu’y a-t-il, Riya ?
Le chef de la garde était livide. Il jeta un mauvais regard à son cousin, comme si sa mauvaise humeur était de son fait, puis se tourna vers Eliya.
- Princesse, j’ai une mauvaise nouvelle à vous apporter. Elle concerne votre mariage.
Eliya sursauta. Elle porta une main à sa gorge, brusquement incapable de respirer correctement. Elle tâcha de calmer les battements affolés de son cœur, qui s’était emballé à la mention de son union. La princesse dissimula rapidement ses mains agitées de tremblements en les glissant sous la table.
- Je t’écoute, Riya, murmura-t-elle.
- Princesse, votre fiancé souhaite avancer sa visite. Et il nous fait savoir qu’il sera accompagné de sa sœur jumelle…
- Sa sœur ? répéta Liam. Il a toujours été fils unique.
- Apparemment, elle aurait été élevée loin de sa famille pour éviter qu’elle ne soit la cible d’assassinats. Ce n’est que depuis peu qu’elle est revenue dans la sphère politique.
Eliya ne savait que dire. Elle fixait sans comprendre sa tasse de thé, comme si elle aurait pu lui apporter quelque éclairage sur cet événement. Lentement, elle se leva et fit quelques pas en titubant. On aurait dit un pantin dont on aurait brisé la raison d’un violent coup de masse. Riya voulut la soutenir, mais elle lui signe, d’un geste de bras violent, de demeurer à sa place. Liam l’observa silencieusement quitter la salle à manger d’un pas raide.
- Ne fais pas ça, indiqua-t-il tranquillement alors que Riya s’apprêtait à se lancer sur ses pas. Elle a besoin de temps.
- Je la comprends bien mieux que toi, Liam, alors ne me dis pas quelle attitude je dois adopter.
L’intéressé répondit par un « hum » pensif. Il avala d’une traite le reste de son thé, fourra quelques pâtisseries dans ses poches et se leva. « Bon, comment vais-je m’occuper toute la journée ? »
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