7 h 1

Clark sort finalement du tramway et débarque devant la gigantesque bâtisse qu'est la bibliothèque « Vil de Ville ». Vraiment, l'un des seuls immeubles à Troposville avec un budget clair en tête. Sa beauté expose la simplicité parfois glauque que les structures à côté sont forcées de présenter.

Avoir des maisons et appartements craqués, sales et mal entretenus juste en arrière d'un des bâtiments les plus importants de la ville, c'est un peu ridicule.

Ce bâtiment est supporté par une dizaine de piliers en avant et aux trois autres faces de la bibliothèque. 

Les marches sont, au contraire, très humbles. Le coulis de béton qui a servi montre ces usures et certaines marches s'enfoncent lorsque Clark met son poids sur elle.

Clark grince des dents. Il se souvient avoir été celui qui a appelé il y a trois semaines pour les faire réparer. Troposville n'a plus de nettoyeurs aux secteurs publics, ayant mobilisé leurs ressources dans la poursuite des mutations dans la ville. Plusieurs compagnies privées dans la construction ont dû déménager dans une autre ville.

Probablement vers Mésosville.

Pourtant, quand Clark arrive sur les lieux de travail, il est surpris par les pancartes, affiches gouvernementales et barricades. Le tout est placé à la dernière minute devant l'entrée de la bibliothèque. Clairement, une investigation policière a lieu en ce moment. 

Pris par l'inquiétude, Clark avance le pas. Sa cadence rapide étonne trois policiers devant la porte de Vil de Ville. Ils s'efforcent d'arrêter le jeune homme.

« Hé oh oh, attendez un instant monsieur ! Vous êtes qui !? » Ordonne l'un des policiers, qui fait une tête et demie de moins que Clark.

« Oh, excusez-moi ! » Exprime Clark d'un ton poli. « Mon nom est Clark Deschaines. Je travaille ici comme libraire adjoint ».

Clark fouille dans son sac et sort son portefeuille, puis une carte d'identification qu'il offre au policier. Le policier le prend et regarde avec suspicion la photo extrêmement sérieuse du jeune homme noir. 

Clark se sent un peu menacé, mais reste calme. Le policier fixe la carte et fixe Clark, puis fixe la carte de nouveau. La pression monte énormément trop vite pour un simple background check.

Les deux autres en arrière se regardent, un peu inquiets.

Puis, le policier lui redonne sa carte.

« Et bien, chanceux que vous êtes Mr Deschaines, vous avez congé aujourd'hui, peut-être même pour le reste de la semaine ». Annonce les policiers.

« Pardon ? Je ne suis pas sûr de comprendre. Qu'est-ce qui s'est passé ? » Demande Clark, perplexe.

Les policiers se regardent pendant un instant, avant que le même agent ne réponde.

« Désolée. Confidentiel. »

Avant que Clark puisse commenter le manque de clarté, une voix féminine forte se met à retentir au loin. 

« Non non ! Vous le laissez entrer aussi, bande de racistes ! »

Autant les policiers que Clark sont pris d'un soubresaut quand ils entendent la personne en question se rapprocher.

Une dame blanche aux cheveux bruns coupés à la base de la nuque se promène avec une élégance soutenue par ses talons hauts noirs, ainsi que sa blouse et pantalon chics aux couleurs chocolat. Ses lunettes et le rouge à lèvres accentuent un côté qui serait considéré plus séducteur… s'il s'agissait d'une tout autre femme.

Celle-là, Clark en a la chair de poule.

« Ah merde, c'est parti », chuchote-t-il à lui-même en ravalant sa salive.

« Sauf votre respect, madame, ce n'est pas du racisme que de renvoyer quelqu'un qui — ! »

« Oui en effet », coupe la dame. « Une belle preuve de gentillesse de renvoyer un employé qui a besoin d'argent dans cette économie faiblarde. Cependant, en tant que libraire, il a intérêt à se pointer au travail pour une bibliothèque qui n'est pas complètement fermé. De plus, comme la clause 16:4 de la charte sur la protection des travailleurs dits… »

Le policier bavard, un peu paniqué, lève sa main et son ton de voix en guise de protestation. Cette femme ne blague pas, une connaissance des lois beaucoup plus élevée que ton Troposcien standard.

« Oh putain, oui la charte stipule que les travailleurs peuvent rentrer à leur risque dans une zone en danger ! Mais il fallait le préciser avant avec un papier de la bibliothèque, madame ! »

La dame lui lance un regard à transpercer le subconscient.

« Oh ? On est sexiste en plus ? »

Son affirmation rentre par une oreille du policier et sort par l'autre. Il n'a pas compris. Clark soupira et continua sa route.

« Messieurs, elle est directrice de la bibliothèque. Elle n'a pas besoin d'un permis, surtout pour des crimes qui n'ont ni blessé ni décès. » Affirme Clark, un peu embarrassé, mais voulant toujours garder son professionnalisme.

« Je sais qu'elle est la foutue directrice de cet établissement! Et comment tu sais qu'il n'y a pas de meurtre dans cette affaire, toi !? Hein !? » Demande le policier. Il aurait préféré que cette femme autocratique le laisse faire son travail comme il faut.

C'est la cinquième fois qu'elle vient faire chier pour que divers employés entrent dans la bibliothèque. Cette dame donne une aire d'autorité certaine. La force motrice derrière les archives historiques du pays en fait toujours trop. Il avait l'impression de tomber sur une farce. 

Tayla McKenzie, la cofondatrice du projet « Vil Historique » il y a déjà cinq ans de cela.

Clark allait répondre à la question, quand Tayla interrompt la conversation avec son ton toujours aussi impérialiste.

« Bien dit, jeune employé. J'oublie que tu sais défendre tes intérêts maintenant. La prochaine fois par contre, tu n'oublieras pas de dire où tu as trouvé cette information. Même au travail, il faut toujours citer ses sources. Compris ? »

Tayla fait signe à Clark de se ramener à l'intérieur du bâtiment et que-ça-saute. Il est évident qu'elle en a ras le bol de toute la paperasserie conversationnelle que les forces de l'ordre crachent sur elle ces derniers temps. 

Clark est très sensible aux ordres de sa directrice. Le meilleur qu'il puisse espérer, c'est agir comme un bon garçon et ne pas l'énerver plus qu'il ne faut. Il jette un « O-Oui madame McKenzie » nerveux, avant de déguerpir vers Vil de Ville.

En s'en allant, Tayla se retourne vers les policiers, avant de faire un signe de décapitation avec son pouce, le regard toujours aussi vide de sympathie. Les deux policiers sont pris d'une peur bleue assidue, jusqu'à ce que leur camarade grognon leur fasse signe de se calmer.

« On relaxe, les mecs. Elle nous donne juste signe de reprendre nos ordres normaux et de ne pas laisser d'autres personnes passer à partir de maintenant… »

« Hein, nos ordres normaux ?? » Demande l'un des policiers abasourdi.

« Shh! Pas trop fort ». Ordonne le bavard. « Je ne sais pas pourquoi, mais le chef de notre département m'a fait comprendre que cette directrice a accès à des laissez-passer assez dingues sur certaines règles. »

* * * * *

À l'intérieur de la bibliothèque, Clark attend sa superviseure, tel qu'un chiot reste en garde à vue en attente de son maître. Tayla débarque, pose un regard un peu plus tendre sur Clark, et expire. Toutes les actions qu'elle fait sont calculées pour paraître élégantes et fluides. Elle a beau donner la chair de poule, Clark l'admire bien comme inspiration sur le marché du travail.

« Tu m'excuseras pour le vacarme de ce matin Clark. Allez suis-moi, je vais te montrer l'infâme scénario qu'on va devoir nettoyer avant cet après-midi. »

Clark suit sa directrice d'un pas inspiré. Ils se dirigent vers la dernière salle à droite. Quelques autres employés courent partout sans explication claire, laissant des saluts assez audibles envers Clark, certains étant même contents qu'il soit présent. Le jeune homme musclé ne répond qu'avec un sourire feint et une main timide.

« Tu as entendu à propos des 26 cas de mutations de la semaine dernière ? » Demande Tayla.

« Oh… Oui j'en ai entendu parler aux nouvelles ce matin. »

« Wow, toi qui écoute les nouvelles pour une fois. Choquant ».

Clark ne sait pas s'il devrait prendre mal cette remarque où l'accueillir avec gratitude. Il préfère jouer le muet indifférent.

Lorsque Tayla et Clark entrent dans la pièce, on voit une rangée complète de livres qui s'étale jusqu'à la fin de la salle. Une dizaine d'employés avec des ballets, gants, casques de construction et autre équipement de protection se promène avec la même énergie perdue dans le feu de l'action.

« En tout cas, je crois bien qu'un d'entre eux nous a rendu visite ». Finit Tayla en pointant au fin fond de la salle, dans un coin.

Un tas de débris et un trou massif sont formés sur le plafond de la bibliothèque. Quelques rangs de livres ont dû être écrasés dans ce tas de briques. Le problème, c'est qu'il faudrait une équipe d'experts avec des explosifs pour faire un trou de cette grosseur.

« Je me demande bien pourquoi… » se dit Clark.