8 h 49

Tayla est à son bureau, étrangement placé dans une salle au fin fond de la bâtisse. Le décor est très liminal, un simple pupitre entouré de quelques photos. Les lumières néon blanches sont en opposition avec la bibliothèque qui a gardé son style victorien. Il y a quelque chose de presque néfaste dans cette surpropreté.

La directrice est au téléphone avec quelqu’un qu’elle connaît bien. Elle est installée avec un mélange d’ennui et de frustration, tapotant ses doigts sur son pupitre avec une sorte de précipitation. Elle redresse ses cheveux plus la conversation avance.

« Sans offense, très cher, je dois rappeler que c’était votre idée de garder des documents susceptibles d’être égaré dans Vil de Ville. Je n’ai fait que suivre les ordres. »

La voix au téléphone est rauque, démontrant une fausse sagesse et un vieillissement apparent.

« Tu te crois malin en me rappelant ces détails !? Et bien, je te signale que tu as coopéré avec la police plutôt que d’accepter la pleine capacité de mes opérations pour sécuriser la bâtisse ! » Insiste, la personne au téléphone.

Tayla rit jaune, au point d’enlever ces lunettes dans le rythme de sa colère.

« Si je me crois malin ! Vous êtes drôle ! Vos gadgets n’auraient fait qu’apporter la confusion dans la bâtisse ! Troposville n’est plus autant journalisé que les autres villes, mais au moins on ne va pas causer aux citoyens locaux ce genre de confusion ! »

La grande porte de son bureau s’ouvre. Il s’agit de Clark, un air un peu troublé. Tayla le remarque et lui fait signe d’attendre, garrochant sa frustration de côté pour reprendre un semblant de tendresse.

« Écoutez, des entrepreneurs importants sont là, je vous rappelle cet après-midi. »

Elle raccroche son téléphone en forme de cercle et le dépose dans ses poches.

« Vraiment, excuse-moi Clark. Je ne veux pas te faire du souci pour rien. Aller, entre ».

Elle a une voix beaucoup plus maternelle maintenant que les deux sont seuls dans la même pièce. Clark a toujours été un peu angoissé par cette femme, même après neuf ans depuis leur première rencontre. 

Son ton autoritaire, qui change si facilement en la présence du jeune homme, monte une sorte de tension chez Clark. Il se donne le plus de misère à supprimer cette sensation dont les mots donnent une très mauvaise description. Le très peu d’expérience avec les femmes décuples son angoisse.

Il ferme doucement la porte derrière lui.

« En fait, je devrais m’excuser, Mme McKenzie. » 

« Tu peux juste m’appeler Tayla ici, Clark. » , répond Tayla, un peu embarrassée.

« Oui, pardon. J’ai pris un brin de votre conversation et je crois que l’information qu’on a trouvée est… peu motivante. , continue Clark.

« Je t’écoute ».

Clark prend un cahier et le dépose calmement sur le pupitre. Tayla prend le cahier et le scrute avec minutie.

« En fait Tayla, le problème c’est qu’on a assez d’information pour spéculer que la personne ne voulait pas causer des dommages juste pour causer des dommages. Il voulait spécifiquement s’emparer de ce qui était dans le coffre L-1162-40. Je ne sais pas quels documents il y avait dans ce coffre… » 

Mensonge. Clark était au moins 80 % sûr qu’il s’agissait du style de document qu’il recherchait. Les archives sur les mutations des dix dernières années devaient être protégées par la bibliothèque pour les scientifiques qui se pointent ici chaque semaine pour leurs analyses détaillées. 

C’est leur ranger spécifique à eux, caché du reste de la bâtisse, que le probable mutant à balayer en miette. Ce ralentissement énerve Clark, et il veut des réponses coûte que coûte.

« Mais ça devait être des documents primordiaux ! Je voulais voir avec vous s’il ne s’agissait pas de… »

Tayla dépose le cahier sur son bureau et place ses mains pour cacher son visage rempli de dépouillement. Clark s’arrête brusquement, pris par une inquiétude instinctive pour sa directrice.

Tayla, en prenant en compte les paroles de son employé, inspire et expire le poids de cette organisation sur ses maigres épaules. Elle semble désemparée, voire attristée. Clark, bien qu’il veut par principe la rassurer que tout aille bien, s’empêche de tomber dans le syndrome du chevalier blanc.

« Ça, ce n’est pas bon Clark. », répond Tayla. « Tout ce qui est dans nos coffres est très confidentiel. J’ai voulu jouer mon dur à cuir avec nos commanditaires pour ne pas faire installer des gardes de nuit. Je croyais que tout allait bien se passer. J’en paie le prix maintenant. Putain de merde. »

Elle regarde son pupitre pendant quelques secondes. Clark se sent étrange en regardant sa directrice dans cet état.

« Oh non pas encore. », se dit-il dans sa tête.

« J’ai toujours voulu avoir un poste comme celui-là et j’ai toujours fait mon travail ! Pourquoi est-ce cinq ans après que quelque chose d’aussi angoissant se produit ? », continue Tayla.

Elle prend une pause et regarde Clark dans les yeux. 

« Clark, si tu avais mon poste, est-ce que tu aurais su quoi faire ? 

Clark est immédiatement pris par ce regard qui fait glisser dans le néant. Il ravale sa salive. Il y a une mixture de déception teintée d’un parfum particulier dans sa voix. 

Clark sent une sorte de désir monter en flèche.

« Pour être franc Tayla je crois que je ne saurais comment gérer ce genre de crise ». Clark a répondu si rapidement qu’il n’a pas su s’il répondait à la situation de Vil de Ville où à lui-même.

Tayla sent que la tension a pris un coup. Elle respire un peu et se remet à parler avec un ton professionnel, sa déception encore perceptible par moment.

« Je crois qu’il va falloir installer des caméras de surveillance et faire venir des gardes spéciaux à partir de maintenant. Merci encore, Clark. Ton travail est très apprécié. Avec qui as-tu pris ces notes ? » Demande Tayla.

« Ah ! Euh, ce n’est pas moi, c’est Geneviève qui a tout pris. », répond Clark, tel un soldat dans l’armée. Il est un peu soulagé que cette tension soit partie en fumée.

« Parfait. Dans ce cas, je vais l’appeler sous peu. Tu peux retourner aider les autres. »

Elle lui lance un sourire cajolant en guise de salutation. Clark a de la misère à l’accepter, mais sourit bizarrement en retour avant de promptement s’enfuir de la salle. Il se met à se marteler à voix basse.

« Allo monsieur l’assoiffé ! Ça ne va pas dans ta putain de tête !? Tout le temps en train de tourner en rond lorsqu’une femme te donne des airs qui peuvent sembler à de l’amour ! » se reproche Clark à lui-même. « Rentre ça dans ta tête ! Elle est dans la trentaine cette femme! C'est ta directrice en plus ! Tu en as que 24 années sur cette terre ! Passe à autre chose ! »

Son téléphone se met à vibrer. Pensez intrusive deviennent discussion à voix haute quand il s’aperçoit que c’est Jano qui l’appelle. Il répond avec fureur dans la voix, oubliant que son téléphone se met automatiquement en mode haut-parleur.

« Mec, qu’est-ce que tu me veux ! On s’est dit de ne pas s’appeler durant mes journées de travail, gros enfoiré ! »

Clark se met à gueuler cette phrase iconique, entouré de quelques employés qui le regardent, pris au dépourvu par cette version de Clark que très peu de gens auront la chance de voir : lui en rogne.

Jano se met à rire de l’autre bout du fil.

« Oui et bien tu sais ce que la vie nous réserve : un paquet de surprises ! »

« Jano, je vais t’étrangler. »

« Pas sûr que tu en seras capable, mais ça, c’est juste moi qui le dit ! » Explique Jano avec une touche d’optimisme irritante. « Je voulais voir en fait parce que j’ai une demande sérieuse à te faire. »

Clark soupire.

« Bon, pour une fois. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »

« Les livres de Jano l'aventurier, est-ce que vous en avez à Vil de Ville ?? »

Une des veines à Clark a surement explosé sur le coup.

« On n’est pas une librairie, gros naze ! On est une bibliothèque d’archives ! Va voir le marché O’puces et fout moi la paix ! » Hurle Clark.

« Oh pas cool mec ! Tu pourrais au moins demander à des gens s’ils ont des recommandations ! Je cherche le tome 4 de sa série sur les terres du Nord. »

Au loin, Geneviève assiste de nouveau à la vie de Clark, abasourdi de le voir aussi enragé. Un imbécile qui ose introduire de la violence toxique dans le caractère de son prince charmant ?? Cette personne doit mourir d’une centaine de morts !

Pourtant, une autre part d’elle est investie dans ce nouveau conflit. 

Qui est l’homme derrière la ligne qui fait réagir Clark avec autant de vivacité ?