23 mai — 23 h 11

Le cri d’agonie et la lumière intense des flammes se dissipent dans une tranquillité qui lui est seule. Tout le quartier est agité.

Hors de nulle part, des gens qui ont pu apercevoir la flamme au loin se mettent à courir, à se cacher, à sortir des petits restaurants et bars avoisinants, en hurlant de terreur. 

La police ordonne le plus possible d’évacuer les lieux, incapables de contrôler la situation.

Richard en perd la tête. Il fixe ses mains, ces mêmes mains qui ont été aussi vulgaires envers la directrice. Ce que les policiers viennent d’observer chez leur chef de troupe suggère quelque chose de plus érotique.

« Monsieur Richard… », demande Mezzanine, l’un des cadets désillusionnés derrière Richard Young. « Vous pouvez bien nous dire ce que vous vous apprêtez à faire à une civile ».

Immédiatement, sur un coup de tête, Richard se retourne et crie en rétorque : 

« Tout le monde, restez loin de cette femme ! Elle est dangereuse ! » L’affolement est palpable dans sa voix.

« Moi ? Dangereuse ? Ha ! Elle est bonne celle-là », ricane Tayla McKenzie. « La vérité, c’est que tu peux ignorer tout ce qui s’est passé dans ton cerveau. Mais ton cœur, ton corps, les émotions qui en découlent. Tout ça n’oubliera jamais les moments vécus ensemble, mon trésor. »

Tayla semble suggestive, le dos accoté sur le mur, ses jambes croisées. Elle sort un appareil qui ressemble à un écouteur et l’assoie délicatement sur son oreille gauche. Elle appuie le bras qui touche à l’écouteur sur son autre bras.

Richard en devient agressif. Son corps est attiré de prêt. Son regard masculin veut fixer le buste de la directrice qui pour lui est mise en valeur par exprès. 

Son cerveau n’enregistre pas ce qu’elle lui explique. Richard a l’impression d’affronter toute l'oxytocine qui lui monte aux nerfs. Est-ce qu’elle est une mutante aussi ? Est-ce que son pouvoir détruit la perception des hommes par rapport au sexe opposé ?

Richard aimerait cela plus qu’il ne le réalise.

Ses théories du complot se font interrompre par l’agitation du corps policier face au gigantesque cyborg qui apparaît devant eux. 

Toska sort de la ruelle. 

Le monstre mécanique dépasse même les plus grands policiers. Un spécimen incompréhensible.

« Tayla, nous sommes prêts à appliquer Delta-42. La cible a été neutralisée », annonce Toska à sa coéquipière.

« Ah, merci de t’être occupé de mon gâchis. J’apprécie grandement. Aussi, il va falloir ramener l’arsenal complet. Trop de civils se précipitent hors de cette zone », répond Tayla. Elle appuie sur le bouton bleu de son écouteur.

« Code Delta-42 ! Je répète, code Delta-42 ! »

Ça ne prend pas dix secondes que des portails s’ouvrent partout autour de la rue principale. Les civils qui ne se sont pas enfuis assez loin sont autant stupéfié que les policiers.

Des personnes, une armée d’une centaine, sortent des portails. Clairement humains, ils sont pourtant armés d’une technologie supérieure, contrairement à la milice, vêtue d’une armure d’un blanc impeccable. 

On dirait s’être téléporté 200 ans dans le futur. 

Même Toska, comparé à eux, ressemble déjà à une antiquité bricolé en quatrième année.

Une vingtaine d’eux entourent les policiers. Les plus braves de la milice essaient de trouver une sortie, mais se font figer sur place par des fusils laser qui semblent les pétrifier dans le temps. 

Ce scénario ne fait aucun sens pour les gens alentour, à condition de ne pas s’appeler Toska et Tayla McKenzie.

« Allez, tout le monde, amenez l’arsenal ici, s’il vous plaît ! », s’exclame Tayla à plusieurs des soldats futuristes, qui retournent un signe de tête en guise d’affirmation.

Richard est plaqué à terre par deux des soldats blancs, une méconnaissance des évènements et de ceux où viennent tout ce tas de guerriers. Être policier à Atmos signifie normalement connaître les cachotteries du gouvernement. Jamais il n’a entendu parler d’une armée aussi énigmatique et efficace.

« Pour ton information, très cher, bien que tu penses comprendre mon pouvoir, tu vas en avoir une brève démonstration aujourd’hui », explique Tayla au policier capturé.

« Non, attends un instant ! Qui sont ces gens !? De quelle ère viennent-ils !? », supplie Richard.

« Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Ce sont de loyaux Atmosciens, comme toi ! Juste… Leur loyauté est bien mieux placée », ajoute subtilement Tayla, un gloussement sur son visage.

Puis, soudainement, vient ce fameux arsenal : 

Une tour qui fait la taille d’un petit commerce. Contrairement à l’armure blanche éclatante des soldats, qui semble tout droit sortie d’un film de science-fiction, cette tour est mystique, d’un gris foncé trop net. Les formes et contours sont irréguliers, comme une statue sculptée des siècles d’antan.

Elle est massive, au point où son portail apparaît à l’horizontale, plaqué à terre. La sculpture mystique sort du sol au beau milieu de la rue principale.

Au centre de cette tour, un cube d’un noir envahissant l’espace flotte et se met à craquer. Chaque craque laisse échapper un amas de lumière.

Un écran apparaît devant Tayla. Sa forme est mystique, un rectangle d’un blanc artificiel, saupoudré de plusieurs petits carrés de cette même blancheur, illumine un texte d’un noir profond.

[Je suis le message que vous voulez garder secret. Qui suis-je ?]

Tayla regarde l’écran comme si ce n’était qu’un autre rodéo pour elle.

« Dévoreur de mémoire », répond-elle, calmement. Pour Richard, Tayla parle dans le vide. Le policier comprend rapidement qu’il s’agit d’une mutante. 

Quelque chose est différent par rapport à ce qu’Athomas présentait. Il n’y a pas de signe clair d’une transformation, ni l’arrivée d’une créature ou un objet surnaturel.

« Mme McKenzie ! Delta-42 est prêt pour utilisation ! » Crit l’un des soldats à Tayla.

« Parfait ! Mettez-vous en position ! Les feux d’artifice vont commencer ! », crie en retour Tayla.

Des policiers capturés. 

Des civiles détenues. 

Des barricades géantes et longues de dix mètres apparaissent des portails, d’un bleu aussi sombre que les étoiles, qui couvrent et bloquent le passage à cette rue. 

Richard se croit dans un film préapocalyptique.

« Félicitations, Richard Young », exprime Tayla. « Vraiment, félicitations. Dire que tu es revenu me voir de ton plein gré après ce qui nous est arrivé toi et moi. J’aurais dû m’en douter que tu ne te souviendrais pas. C’est bon signe. Ça veut dire que mon démon fonctionne bien sur des têtes dures comme la tienne. »

« Démon ? », répond le policier, confus.

Tayla respire profondément.

« Bon, dans une minute, tout ça sera inutile, mais parce que je te trouve beau et que je vais encore avoir besoin de toi, je me permets de t’expliquer, à nouveau, ce qui va se passer ». Tayla se penche vers le policier plaqué au sol.

« Richard, mon système s’appelle “Dévoreur de mémoire”. C’est dans le nom. Dans moins d’une minute, tout le pays va oublier ce qui s’est passé dans les dernières 24 heures à Troposville. Tout le monde va oublier le grand méchant loup Toska. Tout le monde va oublier cette histoire d’Athomas Killian. Tout le monde, même toi, va oublier la directrice de Vil de Ville, Tayla McKenzie. »

Elle lui fait un sourire mesquin.

« Adieu, et à la prochaine ».