Les yeux de Richards s’agrandissent.
Soudainement, l’autel vibre, alors que le cube noir géant se met à craquer. De plus en plus de lumière se faufile au travers de ces fissures.
Un nouvel écran cryptique apparaît devant Tayla.
[Oublions, encore une fois, dans les étoiles qui disparaissent : 54 secondes restantes]
Tayla ne sourit plus. Elle semble même un peu triste. Derrière l’écran se cache le regard de Richard, bafoués que personne en Atmos, pas juste Troposville, ne gardera de souvenirs de ses événements. Ni de la mort subite d’Athomas Killian, brûlé vivant par une organisation inconnue du peuple.
Tayla bousille sa tristesse et reprend son visage stoïque et professionnel.
L’écran se désintègre en même temps qu’elle se lève. Richard aboie pratiquement en sa direction, mais les soldats le retiennent au sol aussi fort que des chaînes retiennent un lion.
« Non ! Revient Tayla ! Tu ne peux pas faire ça ! Ces… Ces criminels ont essayé de détruire ta bibliothèque ! Tout le monde peut devenir un mutant ! Il faut qu’Atmos puisse se souvenir de tout ça ! Il faut se souvenir ! », supplie de nouveau le pauvre Richard Young.
Soudainement, pendant que Tayla s’éloigne, un policier réussit à se glisser dans la foule de soldats et à brandir son pistolet vers la directrice.
Il s’agit de Holland D. Pétrarque, le second cadet déçu par les actions de Richard.
Il a su tirer vers sa propre conclusion sur l’avertissement de son patron. C’est une mutante, elle aussi. Elle doit être éliminée.
Pétrarque tremble comme une feuille. Jamais il n’a pointé des armes avec autant d’intention meurtrière avant ce soir.
« Non, Pétrarque ! », hurle son patron.
« Je… J’ai une famille ! Ma sœur… ! »
Tayla s’arrête sur son chemin, surprise que quelqu’un d’aussi jeune puisse vouloir se défouler et rebellée contre un assaut d’une telle envergure.
« Ma grande sœur ! Elle a disparu il y a des années de ça ! J’ai travaillé dur pour rejoindre le gouvernement et la revoir ! Mais là j’en suis certain, clair et net, que vous êtes responsable ! Redonnez-moi ma sœur ! », hurle le jeune homme du haut de ses 19 ans.
Tayla est un peu prise sous le choc.
Quelqu’un qui les recherchait depuis longtemps, alors qu’il ressemble à peine à un adulte ?
Avant que Pétrarque puisse faire quoi que ce soit, un soldat frappe le jeune homme par-derrière avec ce qui semble être une matraque qui cause des décharges électriques. Tout le corps du jeune homme est convulsionné alors qu’il tombe brutalement par terre.
« Non, merde ! Pétrarque ! », crie Richard dans le désespoir ! « Ne touchez pas à ce jeune homme ! Il n’a rien fait pour mériter ce traitement inhumain, vous m’entendez !? Si vous êtes vraiment du gouvernement, vous devez déjà savoir les conséquences de faire mal à un civil ! »
Un des deux soldats qui a plaqué Richard se met à rire.
« Qu’est-ce qui te fait rigoler comme ça, sale enfoiré !? », rétorque le chef de la police, toujours en essayant de se débattre.
« Si seulement vous aviez une once d’un cerveau, vous auriez déjà deviné qu’on ne travaille pas pour le gouvernement. Mais ça, vous pouvez l’oublier pour l’instant, monsieur Young », dit l’un des soldats envers Richard, un ton moqueur sur l’affolement du policier.
[Oublions, encore une fois, dans les étoiles qui disparaissent : 27 secondes restantes]
Tayla regarde le cube qui tremble en même temps que la mystérieuse sculpture dont elle est attachée.
Ce cube a complètement craqué dans tous les sens. Une lumière de renouveau va sortir de cet engin sous peu.
Tayla respire profondément.
Le temps passe, respire, sans souci.
[Oublions, encore une fois, dans les étoiles qui disparaissent : 3 secondes restantes]
[2 secondes restantes]
[1 seconde restantes]
Soudain, un écran du système de Tayla change, comme si un effet de corruption servait de transition vers un autre écran, plus grand cette fois.
[Dévoreur de mémoire — Des citoyens sont en constante panique, le besoin de toujours se souvenir de qui ont est, les valeurs que l’on veut instaurer et toute la misère du monde. Mais l’humain n’était jamais fait pour prendre le fardeau de la planète Terre dans son pauvre petit crâne. Les souvenirs peuvent être hideux, déroutants, un passé qui recule vers nos erreurs sans cesse. - Timothé R. Gargsiste.]
Tayla sourit en lisant cette citation de philosophe Timothé R. Gargsiste, une théorie loufoque sur la nature humaine à portée de main.
Elle aime bien la philosophie.
« Nettoyer le plancher », elle répète, se donnant un regard serein.
[Dévoreur de mémoire — nettoyer le plancher]
En un instant, le cube explose dans une lumière intense qui aveugle tout le monde.
Le jet se propage jusqu’à l’autre bout du pays en un éclat.
De loin, on aurait dit qu’une explosion gigantesque détruirait la ville, la transformerait en cendre. Pourtant, aucun bâtiment n’est affecté ou touché par cette soit dite explosion.
Quelques instants plus tard, tous les gens dans l’infâme pays d’Atmos tombent dans le coma.
* * * * *
23 h 27
Il fait beau ce soir.
Les troupes de soldats sont mobilisés partout, dans chaque recoin d’Atmos.
L’utilisation des techniques de Tayla McKenzie nécessite une analyse des possibles dommages collatéraux causés durant le sommeil. On parle de si quelqu’un meurt dans son sommeil d’un accident sur la route, où si un bâtiment a été endommagé par une personne alors qu’elle est en pleine sieste.
Tout le pays est tombé dans le profond inconscient. Ce somnifère est très puissant.
C’est une puissance que la directrice ne peut utiliser qu’à de rares occasions, et ces occasions commencent à se faire de plus en plus fréquentes.
Tayla est assise sur le coin d’un mur, un air de fatigue accompagné d’une transpiration accrue, une débarbouillette trempée dans de l’eau froide sur son front. Elle observe avec Toska des soldats se déplacer vers des portails avec des véhicules blindés, prêts à embarquer des personnes inconscientes dans leurs maisons respectives.
Ils ont accès à toutes les clés de tous les citoyens, à leur statut social, toutes leurs cartes de banque. Chaque détail près est conservé par cette organisation farouche.
Leurs méthodes sont discrètes et impitoyables.
Le cœur de Toska se met à battre d’un coup rythmé. Pour la machine, c’est un signe de son créateur de revenir au quartier général.
« Voulez-vous que je vous raccompagne aussi, mademoiselle Tayla ? », demande poliment le robot de sa voix terrifiante. Elle le regarde avec un désintérêt. La directrice est trop fatiguée pour bien répondre à la question.
« Euh… Non, je dois rester ici et analyser des détails quand je serais… » Tayla se met à bâiller sans discrétion.
«… quand je serais moins épuisé ».
Toska n’a pas été créé pour contrer la logique de ses partenaires d’affaires. Il ne fait que la regarder de ses yeux horribles. Elle est surprise par ce rapprochement épeurant à quelques centimètres de son visage.
« Bonne nuit », répond Toska.
« Ne prononce plus jamais, mais jamais, ces mots aussi proches je t’en supplie! », demande Tayla, troublée.
* * * * *
Dans la ruelle où Athomas fut tué, incognito, une figure cachée d’une robe et cagoule se font dans les ombres. Il fixe tranquillement les soldats passés qui ne se rendent pas compte de l’intrus qui, par pur hasard, est toujours conscient.
Derrière lui se trouve un simple cylindre peint et décoré d’objets d’une ethnicité mystique, un totem.
La figure voit un bon moment pour sortir de l’ombre.
Il voit la clé USB d’Athomas Killian.
Elle a effectivement survécu aux flammes de la machine de guerre, entouré d'une minuscule flaque de sang, maintenant sec.
Discrètement, la figure mystérieuse prend la clé USB et se faufile dans l’ombre. Il reprend son totem qu’il accote sur son épaule, et disparaît dans le néant, ni vu ni connu.

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