Il fait noir.

L’espace vide est grand. Trop grand.

Il n’y a rien à regarder, rien à signaler, rien de projeté dans les horizons du subconscient. C’est l’équivalent d’être aveugle, mais vraiment aveugle. Ce n’est pas l’une de ces hyperboles où la nuit engloutit toute la vision. Il fait véritablement trop noir.

Au milieu de ce trou, de ce manque de lumière, se trouve un jeune homme. Comment sait-on qu’il s'agit d’un jeune homme dans ces ténèbres accablantes?

Parce que soudainement, comme par miracle, un jet de lumière illumine l’homme chauve à la peau sombre, attaché à des chaînes qui se propage dans cette noirceur infinie. Le point de repère de la lumière ne semble pas exister. Elle disparaît avec le reste des objets hors du champ de la lumière.

L’homme ne porte qu’une paire de jeans troué, massacré, d’un vert militaire avec des marques de multiples teintes vertes, qui ressemble à des pantalons de camouflages. Il n’a pas de bottes pour cacher ses pieds salis par le sang qui a séché au sol.

Des cicatrices aussi faibles qu’infâmes parcourent son corps, de simples coupures dans le torse à des plaies ouvertes et au sang séché sur ses bras et jambes.

Le plancher est d’un bois franc, caché par les limites que le jet ne peut atteindre et découvrir.

L’espace illuminé est assez considérable que le jeune homme à la taille d’un nouveau né d’une certaine distance. Il est petit dans ce tas de lumière.

Ce n’est pourtant pas assez pour deviner ce qui se cache derrière le fardeau d’un noir infini.

Infini est le bon terme.

La noirceur ne fait que s’épanouir dans l’inconnu.

La conscience de l’homme est faible. Les chaînes agrippent ces poignets avec férocité. Il est maigre et épuisé. Peu importe qui ou quoi l’a enchaîné, ça lui a enlevé toute sa force vitale. Son humanité est au bord du gouffre, alors qu’il titube constamment entre rester éveiller et se perdre dans le néant.

Ce néant lui fait d’ailleurs très mal aux yeux.

Et puis, à un moment donné, l’homme se met à entendre une voix au loin.

« De chair en os et d’os en chair

Tomber en amour avec couleur du ciel

Crier meurtrier dans le fossé des cauchemars

Partager souffrance avec démon des sables »

Ces quelques vers libres, incompréhensibles même lorsque lus ensemble, travers l’espace scénique de l’homme enchaînée tel un écho, un air malmené.

Une sensation vient piquer le réveil de l’homme. Au début, c’est une curiosité simple, une sorte de force qui le pousse à garder un éveil conscient.

Très rapidement, la panique surgit, lorsqu’il entend la répétition du vers se corsé. Ça prend de la vitesse et s’amène à un crescendo de rien du tout.

Ces paroles hantent l’homme qui est maintenant pleinement réveillé. Il regarde autour de lui, les chaînes commencent à le déroger.

Ses poignets gueulent aux meurtres, alors que les plaies commencent subitement à saigner, plus tranquillement qu’une plaie aussi grotesque devrait saigner. La peur s’est installée dans tout le corps du prisonnier, qui commence à crier :

« Quelqu’un! Aidez-moi! Au secours! Par pitié quelqu’un sauvez-moi! J’ai besoin d’aide! Ne me laissez pas tout seul dans cette noirceur! »

L’homme commence à se débattre, à se balancer. Il essaie tant bien que mal de se lever, mais des chaînes maintenant accrochées à ses chevilles l’empêche de se lever.

Le prisonnier s’agite de plus en plus. Son souffle est effrayé, irrégulier. Étant pris par la plénitude de son sort, Il veut pleurer, laisser toute sa rage et souffrance aller d’un seul coup. Il n’y arrive pas. C’est trop dur pour lui. Il ne comprend pas ce qui se passe.

C’est à ce moment qu’un son glauque et sec joue dans l’ombre et claque d’un bruit strident toutes les parois de cet endroit invisible.

Dans la noirceur, quelque pas se rapproche de l’homme. Des pas de goliath. Chaque pas fait trembler le sol.

Les chaînes réverbèrent à chaque tremblement et l’homme entend son corps résonner plus la créature avance. Les pas portés à leurs fruits. Il rentre dans la lumière du jeune homme.

Une créature bipède, les formes et courbatures exactes caché dans l’ombre, se présente dans la joute.

Elle est massive. Trop massive. Il semble avoir une sorte de pyramide comme tête, mais ça reste trop incompréhensible. Le prisonnier ne peut pas discerner où sont les yeux.

Au moins une trentaine de mètres de hauteur, l’homme devrait briser sa colonne vertébrale pour prendre l’ampleur de cette monstruosité de ses propres yeux. La force tranquille de ce monstre casse tout ce qui reste chez l’homme, alors qu’il se met à hurler de nouveau :

« Non! Non je vous en supplie! Allez-vous-en! Rester loin de moi! N-ne vous approchez surtout pas, par pitié! »

Il se démembre à essayer d’échapper à l’inévitable. Il bouge dans tous les sens.

La créature ne perd pas un instant de plus.

Elle se penche à quatre pattes.

Elle positionne son énorme tête au-dessus de l’homme, détruisant toute forme de visibilité.

L’homme, ne voyant plus rien, se met à crier.

La tête pyramidale, d’un seul coup, se projette sur sa proie.

« AU SECOURS !! »

***

L’homme se réveille d’un coup sec, un cri terrifié qui sort de sa bouche.

Pause.

L’homme noir est dans son lit (lit qui est très douillet d’ailleurs). Sa chambre sombre dans le peu de lumière nocturne qui semble germer de la fenêtre à sa droite. Il regarde en arrière de lui. Il ne peut pas reconnaître clairement le poster d’un auteur célèbre et ces quelques bouquins préservés derrière lui. 

Le jeune homme reste planté là, un instant, avant d’avoir la certitude qu’il est de retour parmi le commun des mortels. Ce genre de rêve fait trop mal au cerveau pour ne pas au moins se poser des questions.

Il se regarde de fond en comble. Aucune blessure ou marque sur les bras. Sa chair est intacte. 

Contrairement au rêve où il était aussi mince qu’un cure-dent, il est physiquement bien bâti, musclé. Il a la physique des statues de philosophes des temps anciens. 

La seule marque qui reste est la cicatrice d’une lame tranchante qui réside sur son torse. Celle-là c’est un habitué. Le reste n’était que pur figement de l’imagination…

…une imagination qui se répète trop souvent pour lui.

L’homme tape sa main droite contre son front, frustré.

« Bon sang. Je vais revoir un spécialiste bientôt on dirait. Les livres de poésie vont être à éviter… »

Abasourdi, l’homme décide de se lever et regarde attentivement le cadran à la droite de son lit. Un petit appareil numérique, simple, qui dicte le temps en gros chiffre rouge écarlate.

4h30.

« Ce n’est pas croyable. Se réveillé tôt à ce point-là. J’ai l’impression que ça fait une heure de sommeil. Bon, tant pis. Vaut mieux commencer ma journée tout de suite. »

Et ainsi, malgré la fatigue intense, l’homme prend son courage à deux mains et décide de commencer sa journée plus tôt que prévu. Ce n’est pas son désir le plus cher en ce moment, mais durant cette période cruciale de l’année, partir la journée du bon pied est très important.